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dimanche 4 septembre 2011

Dionisio Gonzalez : cours modeste à Latitude 21 (Dijon) >>> Communication d'Axel


Cours modeste # 4 (Latitude 21 à Dijon)

Dionisio Gonzalez ou le chaos transfiguré

Dionisio Gonzalez est un jeune artiste espagnol né à Gijon en 1965. Il vit et travaille à Séville et a étudié l'art et la photographie dans plusieurs universités d'Espagne mais aussi en Angleterre. Il a reçu de nombreux prix, notamment le Prix Pilar Juncosa Sotheby's de la Fondation Pilar y Joan Miró.
Quand j’ai commencé à travailler sur l’homme et son œuvre, j’étais à la recherche d’une clé, d’un concept qui me permettrait d’ambrasser son travail. Acqua Gasosa I est l’œuvre exposée ici mais avant aujourd’hui, il fallait se contenter du site internet. Le travail de Dionisio Gonzalez, nous allons le qualifier d’ « entreprise de transfiguration du réel ». Ce mot – transfiguration, transfigurer-, on le retrouve dans le titre de son installation Transfigured Schöenberg. Il indique l’idée de « transformer en améliorant » (Le Petit Robert). Pour ce jeune artiste, transfigurer le réel, c’est faire œuvre de critique sociale face au manque d’organisation du réel.
Quel rapport entre ces deux œuvres, celle que vous avez devant les yeux, et le Schöenberg Transfiguré ?
D’un côté, nous avons les bidonvilles, la matière de départ de DG. Un manque d’organisation, criand. Ou alors une organisation mystérieuse, une logique sous-jacente : Favelas, Shanty Towns, Townships, etc… Des mots commes des plaies. Des métastases urbaines, moitié cancer, moitié contagion joyeuse.
De l’autre, Schöenberg. Un pavé dans la mare musicale du début du siècle. Dans la grande chapelle du musée Patio Herreriano de Valladolid (où l’installation fut présentée en 2009)(par le plus grand des hasards j’ai vu cette installation il y a deux ans et quand on nous proposé de faire un cours modeste sur DG, je n’ai pas directement fait le rapprochement alors que l’installation sur Schöenberg m’avait laissé une très forte impression), des centaines d’enceintes acoutisques pendent du plafond et dessinent une curieuse arborescence. Un manque d’organisation, car les sons de la musique de Schöenberg semblent venir de partout. Des métastases sonores et musicales qui indiquent la fin de quelque chose et le début d’une autre chose : la musique du XXiè siècle est en train de changer.
La ville aussi n’arrête pas de muter et cette logique de la transfiguration, DG va aussi l’appliquer à la ville, la ville jusque dans ses manifestations les plus cahotiques : le bidonville. Le titre de l’exposition proposée par Archidb est très beau car il laisse transparaître que le phénomène du bidonville ne se laisse pas appréhendé d’emblée. L’autre ville mérite qu’on s’y attarde.
Ce manque d’organisation s’apparente au chaos. Mais le chaos vu du dedans révèle margré tout une logique, une organisation propre. Les bidonvilles transfigurés par Dionisio Gonzalez font coexister des matériaux nobles (des matières qu’on imagine appartenir aux toutes dernières tendances de l’architecture et de la décoration contemporaines) et des déchets. La contagion fonctionne dans les deux sens : le noble contamine le déchet et le déchet modifie notre perception du noble.
De même, les sons, les notes de Schoënberg, à celui qui se donne la peine d’écouter, révèlent une myriade d’intentions de sens. Schoënberg Transfiguré, la ville transfigurée : un sens à découvrir au cœur du chaos.

Au grè de mes lectures, le hasard m’a donné de rencontrer un livre de François Jullien qui allait confirmer ces impressions tout en les présentant sous un jour nouveau. Ce livre se nomme  Du Mal/Du négatif .
Reprenons Acqua Gasosa I. Si on voit cette œuvre comme une réflexion sur l’architecture ou comme une proposition encore utopique, on peut la rapprocher du travail de François Jullien sur le Mal et le Négatif.
Pour le sens commun, le bidonville est une sorte de mal architectural, une plaie qu’il faudrait garroter et cautériser. Le travail de DG laisse entrevoir une autre pensée : le bidonville de DG n’est pas un mal architectural. Il faut une autre catégorie pour penser la proposition de DG. C’est ici que le travail de FJ s’avère intéressant. FJ distingue habilement le mal du négatif. Le Mal est une catégorie morale, une sorte de jugement sans appel. Il est comme un point (au sens orthographique : la fin d’une phrase). Le négatif est une invitation à penser. On veut se débarasser du mal, on réfléchit au négatif. Le négatif est plutôt une série de points de suspension. Il ne marque pas l’arrêt mais la fin d’une piste et le début de la recherche d’autres pistes. FJ dit : « soit on aspire à la libération du mal, soit on comprend le négatif ». DG travaille sur le négatif en architecture. Ces propositions architecturales sont une réflexion sur le négatif que recèle le bidonville : il pense plus loin que le mal, il entrevoit une suite, il propose des pistes, il intègre. En ligne de mire, il y a ce que FJ nomme une cohérence. On parlera ici de cohérence architecturale : cohérence, du latin co-haerens : ce qui tient ensemble. Comment faire tenir ensemble le déchet et le hi-tech ? Le déchet accueille le hi-tech non pas comme un mal mais comme un négatif qui mobilise. Il y a vraiment une inventivité à l’œuvre.
Le négatif est une proposition. Je l’emprunte à FJ alors qu’elle appartient plutôt au domaine de la morale. Je la prends et je l’applique à l’œuvre d’un artiste. En l’occurrence une œuvre que l’on peut définir comme étant à la lisière de l’art, de l’utopie et de l’architecture. Cet emprunt doit maintenant faire ses preuves : dans quelle mesure peut-on parler d’un négatif en architecture (opposé ou à côté du mal) ?
Pour corroborer ce chemin, nous avons pu compter sur un texte et un livre : hasards de lecture ou intuitions, peu importe : les livres de la bibiothèque s’ouvrent et se consultent au gré de nos envies et intuitions. Les cours modestes servent aussi à ça : prendre la mesure de ses propres ressources bibliographiques. Un livre et un texte donc.
Le premier est un extrait du livre The Urban Condition du psychiatre Leonard Duhl. Cet auteur est un précurseur d’une certaine psychiatrie « écologique », entendez par là qu’il ausculte l’Homo urbanus pour étudier l’impact de la ville sur la psyché humaine. L’extrait que vous trouverez dans le petit feuillet replace la recherche de la ville par l’homme dans le contexte historique en montrant que l’homme désire la ville pour les besoins qu’elle  comble. L’urbanisme est une réponse planifiée au confort supposé nécéssaire pour vivre mais selon Leonard Duhl, il faut veiller à ne pas confondre deux choses : le désir de confort et les sacrifices que l’homme est prêt à consentir pour y répondre. L’homme de condition modeste a besoin de la ville. L’homme aisé peut choisir de la quitter pour s’établir dans les zones plus vertes mais c’est parce qu’il gère toute une série de questions (mobilité par exemple) que l’homme modeste n’a pas les moyens de gérer.
L’urbaniste commet parfois l’erreur de répondre avec ses schémas de pensée à toutes ces questions. On arrive à des réponses inadéquates : « Cependant, le fait que des groupes de population à revenu faible souhaitent vivre de façon plus confortable n’implique pas nécessairement, de leur part, le désir de changer de forme d’existence, de style de vie ». Dans cet extrait, le souhait d’un mieux (un autre nom du bien) est contrebalancé par un désir que l’on pourrait qualifier de négatif (au sens de FJ) : ne pas trop changer de forme d’existence, de style de vie. Ce désir est un négatif au sens où s’agite déjà la volonté de trouver une cohérence : il faut que la vie et le lieu de cette vie « tiennent ensemble ».  Je pense que les propositions de DG répondent à ce souhait (le mieux vivre, le confort, les commodités) tout en tenant compte de ce désir (le négatif de se maintenir en l’état, fut-il précaire).
Les bidonvilles transfigurés de DG sont la réponse adéquate à cette psychiatrie écologique qui apparaissait aux débuts des années 60.
Leonard Duhl montre aussi que les cités-jardin (et leurs références hygiénistes) peuvent être aliénantes pour des populations plus fragiles : « Pour beaucoup de gens, le plan d’une cité hygiénique flambant neuve peut ne pas signifier paix et sécurité, mais ennui et regret de la couleur, de la vie, qui abondaient dans le chaos des villes anciennes. »
Leonard Duhl et François Jullien se rejoignent en ceci que tous deux montrent que le bien et la paix (et la quête éffrénnée qu’ils entraînent) ommettent le travail que l’homme qui réfléchit est toujours amené à mettre en place : le travail du négatif, sur le négatif : accueillir au cœur de notre petit bien le négatif qui lui sert de miroir, de touche contrastée, de repoussoir. Il en va de notre santé mentale. Les banlieues aseptisées, les gated communities décrites dans la littérature américaine nous montrent les travers de l’habitat étanche, fermé sur lui-même. Le bidonville (a fortiori le bidonville transfiguré de DG) laisse une place à l’Autre de la communauté, à l’autre de la commodité (le déchet et ses déclinaisons artistico-créatives) et redessine l’habitat en fonction du désir de l’homme.
Ecoutons encore Leonard Duhl : « Comme le confort mental et le sentiment de sécurité sont pour eux liés à la présence d’individus qu’ils connaissent, ils créent dans ces bidonvilles des versions urbaines de leurs villages ; et ces agglomérations deviennent des communautés étroitement unies, d’une autre valeur sociale pour eux que les stériles ensembles d’habitation neufs qui ne correspondraient à aucun de leurs besoins, même si on les admettait. »

Enfin un dernier détour : le très beau roman de Latife Tekin Les contes de la montagne d’ordures. Le héros de ce roman est un bidonville et ce qui frappe d’emblée le lecteur c’est la force poétique du récit. La poésie, la fable, la rumeur qui enfle : tous ces logos différents suintent littéralement des décharges. Le déchet devient meuble, le meuble s’immobilise et devient cabane, quartier, histoire, mythe, etc.
En guise de conclusion, à ma communication, nous vous proposons un petit exercice : une réflexion sur le positif et le négatif du Habitat urbain. Le chiasme (le positif du négatif et le négatif du positif) va permettre ce que les neursciences nomment « la bascule » : déceler au cœur d’une situation les potentiels d’action.

Temps de travail…

Enfin, l’œuvre de DG exposée devant nous complète l’exposition Bidonville, l’autre ville proposée par Archidb à la Ferronerie. Nous vous invition demain soir à la chambre d’écoute que RED/Laboratoire Pédagogique à mise sur pieds pour accompagner l’exposition. C’est dans la Cour de Flore jeudi à 22h. Une chambre d’écoute est une playlist commentée à écouter de façon collective. Merci et à demain nous espèrons…

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