Dionisio Gonzalez/ Communication Juliette
Je voudrais que ce cours soit pris comme une divagation, comme un lieu de rencontres arbitraires, comme une « ligne d’erre » qui aurait pour origine le travail de Dionisio Gonzalez.
Elle, cette divagation, circule autour de textes, d’images, de souvenirs…
Elle s’articule comme ces « images de pensées » : figures crées pour apprivoiser ce que le langage est impuissant à saisir, pour conserver ce qui est fugace et incertain ; schémas griffonnés dans des carnets, esquisses tracées sur un coin de nappe ; traces d’un processus, d’un savoir en construction…
Je demanderai à Marie d’être la « main de ma modeste pensée » et de tracer au tableau..
Ma première rencontre avec DG c’est tout simplement son site sur lequel je visionne cette vidéo/…. qui pour moi a été une séduisante porte d’entrée dans son œuvre.
Elle me replonge dans un projet mené l’an dernier dans une de mes classes autour de la notion d’ « errance », projet né du livre Errances de Depardon et qui nous a menés à la lecture de Nadja de Breton, à la peinture de Spilliaert, en passant par les marches de Richard Long, artiste anglais du Land Art.
Je reprends une lecture entamée pendant ce projet : Marcher, créer de Thierry Davila.
J’y découvre le travail du laboratoire urbain STALKER qui postule qu’il existe un fait urbain qui ne soit pas assimilé à une construction mais à un mouvement. Pour eux la ville est un processus, un devenir à l’œuvre…Stalker se propose d’arpenter la ville pour en faire l’expérience, pour errer à l’intérieur même de sa configuration mutante. Leur travail se fonde sur le regard, sur le mouvement, sur la ville comme expérience. A la suite des situationnistes, ils proposent une déambulation créative supposée capable de faire apparaître une autre ville dans la ville.
Pour Stalker c’est le corps qui est l’outil de discernement.
Le mouvement qui est oeuvre d’art.
Je reviendrai à cette idée de mouvement qui me semble au cœur de la proposition de Gonzalez.
Paul Klee : Introduction à l’art moderne.
Tout devenir repose sur le mouvement.
L’œuvre d’art, pour Klee, est une génèse, et donc un mouvement (et pas son produit).
Il évoque la naissance d’un tableau qui se ferait pièce par pièce, mais il ajoute que pour le spectateur aussi, l’activité de regarder une œuvre se fait par morceaux : « l’œil fournit des morceaux successifs à la cavité oculaire pour s’ajuster à un nouveau fragment, il doit abandonner l’ancien » …
Pour Klee, « on regarde une œuvre d’art comme un animal pâture une prairie », L’oeuvre d’art naitrait donc d’un mouvement et se percevrait dans le mouvement…comme un parcours à rebours de la génèse.
Hervé Guibert le rejoint, dans son livre sur sa pratique photographique, L’image fantôme, il parle de la vue comme une activité proche du toucher et qui recomposerait le tableau du réel touche par touche.
Cette idée du regard par touche m’a amenée à réfléchir au travail de DG en soi. A la facture de cette œuvre. Je n’y connais rien en infographie, mais ce que je vois semble s’apparenter à des collages …il rajoute des éléments fictifs à des restes issus de la réalité. Il revendique d’ailleurs, ais-je lu, la valeur créative des restes…Il travaillerait à une « réécriture architecturales de ces restes (espaces) comme traces de l’histoire »…
A la suite de Walter Benjamin, pour qui « rien ne doit être considéré comme perdu pour l’histoire », Gonzalez redonnerait vie au rebut, à l’inobservé…d’où il produirait un montage de savoir historique…
Dans son travail il fait, en effet, co-éxister le passé, le présent et, grâce à l’infographie, le futur.
Il rajoute donc une dimension à la nature proprement anachronique de la ville.
Penser la ville :
Dans cette anthologie j’avais repéré un extrait de Mille Plateaux de Deleuze et Guattari que je gardais en prévision d’ un cours sur l’urbanisme que j’aurais du donné cette année…je le relis à la lumière de propos tenus par Gonzalez.
DG a choisi de travailler sur les favelas…en réaction à la décision de Lulla de les raser et de reloger ses habitants dans des tours verticales, DG pose son regard sur cette onde horizontale faite de presques riens et propose une autre « solution ».
Deleuze et Guattari dans cet extrait, définissent la ville comme le corrélat de la route, comme une horizontalité qui se définit par des entrées et des sorties, qui impose une fréquence, une polarisation…la ville horizontale qui s’opposerait à l’Etat vertical, synonyme de résonnance et de stratification.
DG versus Lula c’est la ville versus l’Etat, l’horizontalité versus la verticalité.
Et cette idée d’horizontalité, de fréquence me fait penser au mouvement de la marée ce qui me ramène à un spectacle de danse vu l’été passé, Paroroca de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues qui a installé un centre chorégraphique au cœur d’une favela de Rio. Pororoca, est une métaphore qui signifie «mascaret» en français. C’est à dire «longue vague déferlante produite dans certains estuaires par la rencontre du flux et du reflux». À l’image de ce mouvement d’une force inouïe, les onze interprètes de cette pièce deviennent, littéralement, une vague humaine : ils s’élancent, les uns sur les autres, roulent, s’escaladent, géante ondée en déplacement – quoi de plus horizontal que le mouvement de la vague - géante ondée donc qui se brise et se reforme sans cesse. Métaphore en fait de la favela elle-même…On revient à cette idée de mouvement…
(forme DG)
Tristes tropiques de Levi Strauss
Le seul livre que je n’ai jamais lu sur le Brésil est cette oeuvre magistrale de l’ethnologue disparu l’an dernier.
Je retrouve dans mes notes de lecture qu’il y compare la ville à un poème ou à une symphonie « au confluant de la nature et de l’artifice ». « La ville, écrit-il, relève simultanément de la procréation biologique, de l’évolution organique et de la création esthétique » « Elle est à la fois objet de nature et sujet de culture, individu et groupe, vécue et rêvée : la chose humaine par excellence »…
Je ne peux rêver plus beau commentaire à apposer au travail de DG.
Et j’en viens à ma conclusion.
Foucault, Dits et écrits, Des espaces autres.
Je pense que ce que nous propose DG est de vivre une expérience.
Cette toile de 9 mètres ne peut être embrassée du regard, elle nous invite à une traversée.(retour sur l’idée de mouvement, de vague : allées et venues face à la toile)
A la suite, des errances surréalistes, des dérives situationnistes, du collectif Stalker, des artistes du land art, DG nous donne accès à un territoire.
Et comme l’écrit Michel Foucault « c’est à partir d’accès au territoire que peut avoir lieu leur invention ». L’invention qui doit être entendue à la fois comme la découverte d’un objet et l’action d’imaginer cet objet.
Traverser un espace pour le produire …voilà en quelque sorte le projet de DG tel que je le perçois.
Cette œuvre présentée dans cet espace d’exposition où nous sommes nous propose, à nous spectateurs, de nous laisser surprendre par notre capacité à inventer le monde, à l’habiter et le transfigurer, à le produire…DG nous invite, à sa suite, à nous insérer dans le monde, dans son devenir pour croire en lui…
Et j’emprunterai à Deleuze les mots de la fin : « croire au monde, écrit –il dans Pourparlers, c’est ce qui nous manque le plus … »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire