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dimanche 3 avril 2011

Cours modeste # 2 Britten Barber et Ravel : communication de Juliette

Cours modeste  #2  Britten, Barber, Ravel


« Vous ne voyez que ce que le peintre vous montre, vous n’entendez que ce que le poète vous dit, la musique va bien au-delà : ne forme-t-elle pas votre pensée, ne réveille-t-elle pas les souvenirs engourdis ?(…) La musique seule a la puissance de nous faire rentrer en nous-mêmes ; tandis que les autres arts nous donnent des plaisirs définis. » Balzac, Gambara.

A discuter…

Comment écouter de la musique classique, comment ne pas se cantonner dans un rôle passif mais somme toute confortable de récepteur…comment retrouver la capacité d’être un auditeur actif comme le sont ceux qui ont les compétences techniques, comme l’auditeur du XVIII qui écoutait la musique de connivence avec le compositeur.
L’amateur, aujourd’hui (qui n’est pas musicien) n’a à sa portée pour appréhender la musique parfois que quelques éléments biographiques du compositeur, si pas,  la seule capacité de percevoir le son,  la sonorité plaisante ou non de cette langue inconnue.

Nous proposons quelques outils modestes pour développer une écoute plus créative de la musique.

Première lecture : Barthes (évidement), L’obvie et l’obtus.

Entendre est un phénomène physiologique, écouter est un acte psychologique.
RB distingue 3 types d’écoute :
-         L’alerte : l’être vivant tend son audition vers des indices (comme l’animal)
-         Le déchiffrement : des signes qu’on essaye de capter.
-         La signifiance : viser qui parle, qui émet : j’écoute = écoute moi….

Ø     Une première piste méthodologique pour écouter : distinguer ces 3 moments lors de notre écoute…et surtout être attentif à ce  troisième type d’écoute… intersubjective, qui vise non pas ce qui est dit, ou émit, mais vise qui émet ?

Pour RB la musique serait « l’art des coups » (RB parle de Shumann) :
Quand il entend S, il entend ce qui bat dans le corps du compositeur…
Le corps de S. serait, selon RB, un corps pulsionnel, qui se pousse et se repousse, qui passe sans cesse à autre chose, un corps étourdi, distrait et ardent à la fois…
Au plan des corps, l’auditeur exécute ce qu’il entend.
 Il y aurait donc un lieu du texte musical où s’abolit toute distinction entre le compositeur, l’interprète et l’auditeur.
(Le retour jouissif du « coup », telle serait l’origine de la rengaine).
Rem : le coup peut prendre plusieurs figures qui ne sont  pas forcément celle de l’accent violent. RB appelle coup n’importe quoi qui fait fléchir brièvement tel ou tel partie du corps, même si ce fléchissement ressemble à un apaisement…

La musique n’est donc pas linguistique mais corporelle.

Ø     Une autre piste: Etre attentif aux « coups » : comment bat le corps du compositeur, et donc de son interprète ? Et pour y répondre : qu’est ce que mon  corps ressent lors de cette écoute ?

Deuxième lecture : C.Levi Strauss : Regarder, écouter, lire.

La musique est une folie. Par rapport à l’écrivain (condamné au sens), le musicien est toujours fou.(RB)

Pour RB, l’instrument parlerait sans rien dire (quasi parlando), il serait le geste d’une voix : il n’y aurait  pas de sémiologie, pas de grammaire musicale.
Levi Strauss (LS) le rejoint : pour lui, la musique n’a pas de mot, les notes n’ont pas de sens en elles-mêmes, la musique exclut le dictionnaire.
Et pourtant il ya un discours, un sens général. En effet ce sont les combinaisons de notes, nous dit LS, qui forment  le sens, le texte…

En observant un trio à cordes, je découvre ceci : chaque musicien semble vouloir engloutir son instrument. Il se contorsionne, comme pour englober son outil, faire corps avec lui comme si il voulait produire la musique de l’intérieur.
Cette combinaison des deux, du musicien et de son instrument, constitue bien une espèce hybride, mi-homme, mi-outil…

Ø     Observer les musiciens : le rapport de leur corps avec l’instrument…
Ø     Etre attentif à cette absence de personne, d’identité des musiciens eux-mêmes…
Ø     Sont-ils des marionnettes ?

Pantin, marionnette ?
Mais actionnés par quels fils ?
Ceux de la partition…
En effet, chaque musicien a les yeux rivés sur la partition. Si ce regard se perd…flanche, perd le fil des portées…le musicien pourrait se désarticuler, la musique se taire.

Mais qu’y a –t-il sur ces partitions : des notes, un code.
Le musicien utilise un code mais il ne produit pas de parole qui ont du sens…c’est pour ça qu’il serait condamné à la folie nous dit RB.
Pourtant il produit quand même un texte, une énonciation.
De quel type de texte s’agit-il ?
D’une image…pour RB, il s’agit même d’une « image qui rayonne »…

Troisième lecture : Gambara de Balzac.

Ø     Ecouter une musique, comme on regarde une image.

Ce n’est pas une nouveauté, Rousseau déjà postulait un lien d’homologie entre l’opposition mélodie/harmonie et l’opposition dessin / couleur…. Pour lui, cependant, toute musique devait avoir un sens comme « le peintre qui ne pouvait jeter sur sa toile des traits hardis sans aucune ressemblance.. » ; il présentait et condamnait, par ces propos, l’idée d’une peinture non figurative, une peinture « où on resterait dans la sensation pure »…
On pense aussi aux Voyelles de Rimbaud dans ses Illuminations (mis en musique par Ravel ? d’ailleurs) où il a associé chaque son à une couleur…(poème sur Table des traces)
Et aussi Balzac qui, dans sa nouvelle Gambara, compare la musique à la science…la musique comme un art qui emploie les théorèmes de la science. « Elle tient à la physique par l’essence même de la substance qu’elle emploie : le son est de l’air modifié… (lire p.77-78).. Le son serait donc de la lumière sous une autre forme : l’une et l’autre procède par des vibrations qui aboutissent à l’homme et qu’il transforme en pensées dans ses centres nerveux. La musique, de même que la peinture, emploie des corps qui ont la faculté de dégager telle ou telle propriété de la substance mère, pour en composer des tableaux.»

Ø     Ecouter de la musique comme on regarde un tableau…mais comment fait-on ?

Voilà un océan de possibles.
Toutes les pistes offertes par l’analyse esthétique pourraient donc « marcher » pour la musique ?
Je reviens en terrain connu.
Je vous livre quelques pistes qui marchent particulièrement bien avec mes élèves quand ils sont face à des tableaux…

« Par le regard je touche, j’atteins, je saisis, je suis saisis…toujours le regard cherche, c’est un signe inquiet… »RB

- Tout simplement, quelle est l’histoire que l’auteur/compositeur me raconte ?
- Quelle est la place que l’auteur/compositeur m’assigne (suis-je invité à y pénétrer, dois-je y rester extérieur) ?
- Quel est le détail qui me touche, qui me permet ma propre lecture de l’oeuvre, en musique on parlera de moment, plutôt que de détail… ?
- Qu’est ce que cette oeuvre me permet de découvrir sur moi-même (miroir) ?
- Comment cette œuvre me regarde-t-elle ? Quelle intention/attention a-t-elle à mon égard ?

« Même si l’on a tendance à concevoir les œuvre d’art comme des objets sur lesquels on pose son œil, l’histoire des images montrent que c’est en fait l’art qui souvent garde un œil sur nous : pensez, par exemple, à ces figures médiévales dont les grands yeux nous regardent d’en haut, conçues a-t-on dit pour produire un sentiment de culpabilité et de malaise chez le spectateur… » Dorian Leader : « Ce que l’art nous empêche de voir », Payot, 2003

-« Regarder une image, c’est désirer, devant une image, nous avons reconnaître ceci : c’est qu’elle nous survivra probablement, que nous sommes devant elle l’élément fragile, l’élément de passage et qu’elle est devant nous l’élément du futur, l’élément de la durée.. » G. Didi Huberman, Devant le temps.
Quelle est donc ma fragilité devant cette oeuvre?

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PISTES POUR UNE ECOUTE CREATIVE

Comment le corps du compositeur/interprète fait-il battre mon corps ?
Quelle est l’histoire qu’il me raconte ?
Quelle place m’assigne-t-il ?
Quels sont les moments qui me permettent une lecture personnelle de l’œuvre ?
Qu’est ce que j’apprends sur moi-même ?
Comment l’œuvre me regarde-t-elle ? Est-elle bienveillante, culpabilisatrice, charmeuse, ensorceleuse, violente, intrusive…
Cette œuvre me survivra, je suis de passage, quel est ce passé que je représente ?


 

Cours modeste # 2 (série Musique) Britten,Barder et Ravel : Communication d'Axel

Cours modeste # 2 Britten Barber et Ravel

Ce deuxième cours modeste (le premier dans la série « Musique ») est organisé en prélude au concert de dePhilarmonie à Bozar(le cours modeste a lieu le dimanche 3 avril à 20h et le concert le jeudi 7 avril à 20h).
Les choses doivent se mettre en place.

Piste de réflexion : l’écoute

L’auditeur (on ne dit pas encore amateur, on part du phénomène sonore) d’un morceau de musique est d’emblée confronté à des sons. Ces sons sont particuliers en ce qu’ils sont appelés (et considérés comme) de la musique.
L’écoute est un choix. Le choix de se mettre dans une certaine disponibilité pour aller au concert, mettre un disque, un baladeur, allumer la radio, …
Très vite, l’auditeur est confronté à un autre choix. Un choix qu’il va accepter passivement ou activement.
Passivement, c’est le choix de l’écoute d’un morceau comme fond sonore. Je mets un disque comme fond sonore et je vaque à mes occupations. Le morceau colore mon vécu (un disque plus rapide pour faire la vaisselle, plus calme pour écrire une lettre). Je ne suis pas actif vis-à-vis de l’écoute, je suis tout au plus réceptif. Enormément de moments d’écoute dans la journée d’un auditeur se passent comme ça. Cela n’empêche pas le plaisir. C’est un moment sensuel.
Activement, c’est le choix de l’écoute active ou profonde (qui engage tout mon vécu, tout mon temps, toute mon attention, …). Je me mets dans une totale disponibilité vis-à-vis du morceau. Je fais Un avec mon écoute. Je fonds mon vécu dans la durée de la musique (la durée au sens quasi bergsonien : une intro lente de 5 minutes et je dois « attendre »). On l’appellera profonde au sens où elle pénètre dans ma chair, dans mon corps (voir l’intervention de Juliette). C’est le parti-pris des chambres d’écoute : un temps certes limité mais intense d’écoute active. Seul compromis : la création d’un livret-support contextuel qui accompagne l’écoute, qui la balise.

Ensuite, l’auditeur (mais ici, considérant comme acquis le fait de l’écoute) devenu amateur est confronté à une autre alternative. Elle se présente comme un autre choix, très abstrait : l’amateur doit choisir entre l’écoute unique ou l’écoute répétée. L’écoute unique, prônée par le grand improvisateur Keith Rowe, membre du légendaire collectif AAM, se définit comme suit : il faudrait n’écouter un disque qu’une seule fois. Un peu comme un livre, je le prends, le dépose sur ma platine, je m’installe, je l’écoute dans une totale disponibilité (écoute profonde) et puis je le range pour toujours (ou je le réécoute dans une dizaine d’années, comme un livre que je prends plaisir à relire). Il va de soi que personne (ou presque) ne fait cela. C’est une position abstraite, conceptuelle. Un modèle. Une hypothèse. Personnellement, je la garde toujours en tête pour me souvenir du moment que l’écoute peut être.

Le cours modeste se situe à la lisière, entre les deux. Il entend préparer l’amateur à ce moment (le concert) tout en le sensibilisant à l’écoute comme moment singulier.


La musique et les émotions

Britten 1913-1976

Le concert de dePhilarmonie commencera à 20h (après une introduction de type savante à 19h30) par les Four Sea Interludes de Benjamin Britten. Ces pièces sont extraites de l’opéra Peter Grimes. Britten les a faites aussi exister à part entière comme Opus 33 a (voir glossaire pour la notion d’Opus).
Dawn, Sunday Morning, Moonlight et Storm sont les titres. On écoutera Storm. Ensemble. On se fixera comme but (un but d’écoute, bâtardisation utilitariste mais bon…) de se pencher sur nos émotions (idem pour les extraits des deux autres compositeurs). Une tempête, donc. Ecoutons-la et transcrivons sur papier les émotions que cela suscite (nous sommes dans l’écoute attentive, encore unique pour certains).
Britten est un homme de la côte. Il est né dans un petit village au bord de l’eau. Cet élément a eu une immense influence sur sa production et plus particulièrement sur la création de son premier opéra Peter Grimes (l’histoire d’un pêcheur accusé d’avoir causé la mort d’un des ses marins, un jeune apprenti).
Voici la petite histoire (de la création de Peter Grimes) : Britten est aux USA avec son amant, le chanteur Peter Pears. En Europe, la seconde guerre mondiale fait rage. Dans un journal, il tombe sur la poésie de Georges Crabbe (plus particulièrement le poème The Borough) qui parle de ces côtes anglaises qui fascinent tant Britten (il faut dire que les deux hommes viennent du même coin). Le poème The Borough parle de Peter Grimes (l’homme) et ,en le lisant, Britten va se rendre compte que son séjour aux USA doit prendre fin (il comptait s’y établir) : il dira dans une lettre : « J’ai soudain réalisé d’où je venais et ce qui me manquait (…) J’étais ici sans racines ».[1]
La mer, l’influence de la littérature (on ne compte pas les pièces de Britten basées sur des écrits ou les collaborations directes avec des auteurs, W. H. Auden, pour ne citer que le plus fidèle). Mort à Venise de Thomas Mann, le Tour d’écrou de Henry James … La liste est longue. Britten associe souvent sa musique aux mots. Il n’est pas un compositeur qui choisit la formule abstraite de la symphonie. Il mêle deux codes (la musique et les mots).
Personnellement, j’ai écouté plus de 25 fois l’ entièreté de l’opéra Peter Grimes en un mois (cela faisait partie de mes stratégies pour acheter moins de disques : j’en savourais un chaque jour durant un mois), j’ai écouté en concert (Ars Musica il y a un ou deux ans) les Four Sea Interludes. Je ne suis donc pas neutre devant ce morceau…Enfin, nous sommes allés à Cologne à la Philarmonie pour écouter « The Young Person’s Guide To The Orchestra, op. 34 » dans une version « scolaire » pour un public de 300 élèves.

Barber 1910-1981

A peu de choses près, Samuel Barber est un contemporain de Britten. Je ne le connais que très peu. J’ai commencé à l’écouter il y a trois mois en vue de la création de ce cours modeste. En compulsant certains de mes ouvrages[2], on peut se rendre compte que ce compositeur traîne une réputation de sagesse, limite tiédeur. Est-ce justifié ? Le temps nous le dira. Peut-être son œuvre reste-t-elle à découvrir, à analyser, à étudier ? J’ai l’un ou l’autre vieux dictionnaire de musique contemporaine et certains des grands noms actuels ((Morton Feldman par exemple) n’ont que de brèves notices.
Le Violin Concerto Opus 14 (Voir le glossaire pour la notion de Concerto) est une commande de Samuel Fels (fabriquant de savon et mécène) pour son fils adoptif Iso Briselli. Voici ce qu’on trouve dans le livret du CD : « L’histoire maintes fois relatée de cette commande est la suivante : après avoir composé les deux premiers mouvements en Suisse, Barber s’entendit  finalement dire qu’ils étaient trop simples et pas assez brillants pour un concerto. Il poursuivit son travail et livra un final virtuose que le jeune prodige déclara immédiatement injouable. » En 1941 (date de la création du Peter Grimes de Britten), il sera quand même présenté à Philadelphie. Cette petite anecdote illustre bien le travail de Barber : sa création est guidée par un manque de reconnaissance. Même si le compositeur avait commencé sa carrière avec un magnifique Adagio For Strings qui fera le tour du monde.

Ravel 1875-1937

Le dernier compositeur de cette soirée est le plus ancien. C’est le père (avec Debussy) d’une certaine entrée dans la modernité musicale et d’une certaine école française. On va se pencher sur La Valse, poème chorégraphique. Ravel voyait cet opus comme « une sorte d’apothéose de la valse viennoise avec l’impression d’un tourbillon fantastique et fatal ». La notice parle de cette valse comme de « l’essence même de la valse viennoise (mais) reportée sur une toile orchestrale ». J’aime tout particulièrement la longue intro à cette valse qui semble avoir été captée dans la pièce d’à côté, créant une sorte de flou. Cela perturbe l’écoute.

Glossaire[3]

Concerto. Genre musical faisant dialoguer un soliste instrumental (plus rarement 2 ou 3) avec une formation instrumentale ou un orchestre, et les confrontant de manière à mettre en valeur l’expression et la virtuosité du ou des solistes, avec des périodes en solo où ceux-ci font briller leurs ressources.

Opus (lat. « œuvre »). Souvent abrégé en « op. », suivi d’un numéro, désigne un ouvrage (ou un ensemble d’ouvrage d’un même auteur) dans son ordre de publication, qui ne correspond pas nécéssairement à l’ordre chronologique de sa composition. Et il n’est pas rare que le numéro d’opus, consacré par l’usage, s’impose comme un véritable titre (exemple : l’opus 111 de Beethoven). C’est à la fin du XVIIIiè siècle, alors que les éditeurs commençaient à jouer un rôle prépondérant dans la diffusion de la musique, qui ce procédé de classement a pris naissance.


[1] Oliver M., Benjamin Britten, London, 1996.
[2] J’ai rassemblé au fil du temps une belle petite bibliographie de livres ayant trait à la musique. Particularité : j’en ai lu très peu. Les cours modestes Musique sont un prétexte pour aborder enfin ce corpus.
[3] Les notices sont tirées du Dictionnaire de la musique publié par Larousse sous la direction de Marc Vignal.

Compte rendu de la visite collective de l'expo Luc Tuymans le samedi 26 mars 2011

Visite de l’exposition Luc Tuymans Rétrospective à Bozar

Suite au cours modeste donné par notre association RED/Laboratoire Pédagogique le soir du 8 février 2011, les participants étaient conviés à une visite collective de l’exposition. La participation était libre et il ne fallait pas s’inscrire.

Le jour prévu, à 14 heures, nous sommes une dizaine : Laure Israël, Cécile Ecoffet, Ivana Momcilovic, Ljubomir Jakic, Kosta Jakic, Ingrid Heyne, Elina Pleeck, Yves Cardoen, Christine Marchal, ainsi que deux membres de RED : Marie Pierrard et Axel Pleeck. Notons aussi la présence d’une petite délégation du sud de la France (un couple dans lequel lui est illustrateur et elle tient la buvette du Musée Fernand Léger, les précisions sur ce couple suivront).

Le but de cette visite collective n’était pas de proposer une visite guidée. C’eut été contraire à toute la philosophie du cours modeste. Il s’agissait plutôt de confronter le travail d’appropriation des initiateurs du cours (et des participants) au réel de la peinture de Luc Tuymans. Il s’agissait de vérifier, de confronter les clés de lecture proposées avec les couleurs et les formes effectivement peintes par l’artiste.

Malgré le refus de RED de proposer une visite guidée, un petit mot d’introduction est proposé car certaines personnes n’étaient pas au cours modeste. Il fallait un petit mot pour rencontrer leur enthousiasme.

De l’avis général des visiteurs, la peinture de Luc Tuymans tient ses promesses. Le travail sur les couleurs (qui singent parfois les couleurs passées des photos restées trop longtemtps à la lumière du jour), le travail sur les formes (qui tendent parfois vers l’abstraction).
S’il y avait de nombreuses notes de lecture à même les murs de l’exposition, les visiteurs ont souligné l’absence de notes pour beaucoup de toiles, renforçant ainsi l’idée selon laquelle il y a une place pour les cours modestes : quand la muséologie ne tient pas ses promesses, une séance collective d’appropriation est un plus.

Laure Israël est sans doute le prototype rêvé pour le cours modeste. Cette jeune femme d’une trentaine d’années est du genre à collecter les petits papiers qui annoncent les expos (les flyers). Elle les garde en se disant : « un de ces jours, j’irai voir cette expo ! », jusqu’au jour où elle se rend compte que l’expo est finie. Elle nous a dit que le cours modeste dopait son enthousiasme et balisait son agenda. Résultat : elle a assisté au cours modeste et à la visite collective. Elle en redemande.

Enfin, pour les préparateurs de ce cours modeste, il s’agissait enfin de « voir » les œuvres sur lesquelles ils avaient travaillé à l’aveugle.

Pour RED,

Axel Pleeck

Cours modeste # 1 sur Luc Tuymans (ESA Saint-Luc le mardi 8 février 2011)

Voici les deux communications de cette soirée...

Premièrement / Juliette

LT/ # Juliette

Brève chronologie de mon appropriation du travail de LT :

  • Première approche : Brugge centraal à retour : questions à LT
Recherche Internet1 : Galerie ZENO-X à Anvers : e-mail pour obtenir une adresse de contact pour correspondre avec LT et éventuellement lui envoyer mes questions sur Brugge centraal : lettre morte
Lecture monographie PHAIDON : prise de notes : découverte de son travail sur les camps : // sujet que j’étais justement en train de traiter avec les élèves d’une de mes classe à partir de l’analyse du film Nuit et brouillard d’Alain Resnais. Et heureuse coïncidence, j’ai peu à peu découvert comme son approche de ce sujet s’inscrivait  totalement dans le débat que je leur proposait : à savoir de quelle manière l’esthétique peut-elle mener à l’éthique
  • + première prise de contact visuel avec ses œuvres
  • Recherche Internet2 : « Peinture parlée à Pompidou : prise de notes, l’orateur semble avoir lu exactement le mm livre que moi…
  • Recherche internet3 : un commentaire critique très négatif de 16 pages par Stefan Beyst (°1945 Ghent, historien de l’art et critique: des liens commence à se tisser ; j’ai prêté la monographie à Axel , je suis à nouveau « sans image » …
  • Des références à Barthes de ci de là dans tous ces textes que je lis sur LTàje relis des passages de la Chambre claire, je cherche des pistes d’interprétation dans l’Obvie et l’Obtus… « lire » LT comme on lirait Twombly ?
  • Séjour de 5 jours en Italie, je n’ai plus internet, juste qq textes imprimés, un livre sur Rossellini et un Barthes…travail d’écriture :

Je vous le présente en l’état, c’est le propos d’un cours modeste ; ce sont des pistes de lecture que je propose, ce travail n’est pas abouti :

Je propose d’aborder le travail de LT au travers de deux axes

> Le regard
 > Le texte

Le regard

Un thème que je travail cette année avec mes étudiants et que nous avons décliné en 5 sous thèmes :

1.      le spectateur : celui qui regarde l’oeuvre
2.      le fragment : le détail qui nous touche/ le fragment de réalité que l’oeuvre nous montre
3.      le miroir : ce que l’œuvre nous révèle de nous même / de son auteur, de sa réalité
4.      le pli : ce que l’œuvre ne montre pas / cache/déguise
5.      la trace : ce qui nous reste de l’oeuvre après l’avoir regardée/ l’œuvre comme une trace.

Ø      Le spectateur :

LT semble accorder au spectateur une part active dans son œuvre :
Les mots (les titres des œuvres, les commentaires qu’il fait sur son travail ….mais j’en reparlerai dans la deuxième partie de mon exposé quand j’aborderai l’axe du texte…) à plonge le spectateur dans ses souvenirs, dans les images qu’ils a en mémoire du sujet qui lui est proposé è invite le spectateur à créer son propre texte, sa narration de l’œuvre.
Rem : il est aussi à l’origine de nombreuses expos comme commissaire ; c’est un travail clairement de spectateur qu’il réalise alors…

Ø      Le fragment :

Sa « technique » du « close-up » inspirée de la photo (ou « zooming) : détail d’une image. Pour LT, « l’image universelle (comme dans la peinture historique) est impossible, on peut seulement lever le voile par des images fragmentaires ».
L’influence aussi du cinéma : il a fait un détour par le cinéma dans les 80’s : « quand j’ai vu un film j’essaie de me souvenir quelle est l’image qui est celle qui me permet de revoir en elle toutes les images du film »
Certaines de ses toiles représenteraient un détail qui condenserait en lui l’entièreté du sujet. (Léopard). C’est là sa manière d’aborder les sujets politiques : par touche, par détail, par des aperçus peu explicites d’une histoire complète, comme un puzzle, des indices d’une histoire complète (exemples : séries sur le nationalisme flamand – Heimat- ; sur la politique américaine ; sur la décolonisation, et sur les camps…)
La focalisation sur un détail aussi comme moyen de s’éloigner du sujet, de le travestir, de le perdre…
C’est très clair dans sa représentation des corps qui sont toujours parcellaires, fragmentés : « Diagnostishe Blik » mais aussi « Illigitimate » (pantin sans membre et même plus cela semble être le costume d’un pantin qui aurait été habité par un corps) …

Ø      Le miroir :

- Ses peintures comme le miroir de ses angoisse, de ses peurs, de ses trauma d’enfants ais-je pu lire --> Le thème du miroir comme celui de la perte d’identité en référence à la théorie de Freud sur « l’étrange étrangeté » qui évoque se double qui est en nous ou la perte de l’identité : ses peintures « ombres » et « miroirs » comme des indicateurs de cette perte de soi ou de mort … //thème que je suis en train de travaillée dans une classe au travers du Le Horla/Spilliaert.
- Anecdote : atelier de LT avec un énorme miroir…et cette observation : « si vous regardez votre visage de manière très intense, vos traits disparaissent… »
- Une série de tableau: « Mirror » dans lesquelles encore un fois (nous le verrons) seul le titre du tableau nous permet de comprendre qu’il s’agit d’un miroir.
- Et puis aussi, on peut rattacher à ce thème ce parti pris (dont Axl vous parlera) de ne pouvoir, vu que tout a déjà été peint, que répéter ce qui a déjà été fait mais avec son propre style (authentic forgery) et donc ce travail quasi exclusivement réalisé à partir d’images pré-éxistantes, ( photo, archives, internet..) : la peinture devient alors une  représentation d’une représentation : la peinture comme le miroir d’une image plutôt que de la nature/réalité.
Et donc on pourrait dire, qu’à son corps défendant car je pense avoir compris que LT ne se considérait pas comme un artiste conceptuel…LT propose quand même de pratiquer l’art comme une réflexion sur l’art et non plus comme le miroir d’une réalité…

Ø      Le pli :

Ce qu’on ne voit pas dans son œuvre, c’est sans doute le nœud de son travail.
L’absence semble bien au cœur de l’oeuvre de LT. Peindre les choses sans leur objet, telle semble être sa principale intention.
Dans ses séries sur l’horreur des camps, mais aussi sur son enfance (« Silent room ») : LT semble proposer comme solution à l’’infigurabilité’ de tels évènements, une lecture distante de ceux-ci. Dans le sens où il va creuser autant que faire se peut la distance entre le sujet de sa toile et le spectateur.
Une peinture comme Gas Chamber, ne parvient absolument pas à apporter une image de son objet vu que  celui-ci est absolument dépourvu de toute possibilité de représentation ( un déguisement esthétique comme réponse à l’échec de la représentation)
Sans compter que certains critiques ont vu dans la chambre à gaz une métaphore de sa chambre d’enfant…
Ce sont ici des intentions de déguisement, de travestissement de la réalité qui semble visées par l’artiste mais aussi une volonté de banalisation du mal : de jouer sur le hiatus entre la banalité des motifs choisis et l’histoire dont il parle : il trouve donc comme solution à l’impossibilité de représenter le mal (indicibilité de l’holocauste par exemple) une lecture la plus distance possible des évènements…C’est ainsi que ces sujets sont plutôt des objets, des lieux plutôt que des personnes, et des scènes dont l’action / le drame serait absent.





Ø      La trace :

Cette notion aussi peut nous servir de prisme pour commenter le travail de LT.
Ces toiles comme des traces de la maladie dont souffrirait la peinture…dans la continuité de ce qui vient d’être dit.
La série « Diagnostishe Blik » comme allégorie de cette posture : il peint ici les traces de la maladies, ses symptômes à partir desquels on peut diagnostiquer la maladie…
Mais aussi toutes une séries dans laquelle on retrouve des toiles comme « Pillows » ou « Apple » dont Axl va vous parler…comme des objets marqués par les traces de l’absence…
Et cette notion d’ « index » en anglais : anecdote quant à Apple (pomme mordue par un assassin et retrouvée sur les lieux du crime : « the unforgiving trace »).
Et puis son outil principal : la photo comme la trace du « ça a été », comme l’a définit Barthes. (Lecture extrait Chambre claire p.126-127 ???).

Enfin un autre versant de ce dernier axiome du regard : la trace entendue comme « ce qui nous reste après avoir regardé une œuvre » de LT…

Le texte

Je l’ai déjà évoqué mais je reviens un instant sur l’importance des mots dans l’oeuvre de LT.
L’artiste insiste lui-même sur l’importance des titres qu’ils donnent à ses œuvres, mais aussi des commentaires qu’ils fait sur son travail et même des titres de ses expos qui sont eux aussi porteurs de sens. Et ce tout formerait un discours.
Il a donc recourt aux mots pour encore une fois souligner l’insuffisance/la faillite des images. Dans l’oeuvre de LT se sont les mots qui déclanchent le sens.
C’est très clair dans une œuvre comme Scwarzheide, sans avoir lu l’explication qu’en donne LT , comment comprendre cette peinture…
LT affirme que ses peintures sont plus l’occasion d’un discours qui serait essentiellement indépendant de l’image.
Dans d’autres peintures, comme « Our new quarter », les mots viennent interroger la représentation , ils viennent même confirmer l’échec de l’image dans sa tache de représentation.
Le texte comme « accoucheur » du sens réel de la peinture. Or, il est très clair que, pour LT, la signification soit plus importante que l’image.
Je reviens donc sur ce paradoxe : LT qui se veut le chantre du retour à la peinture figurative et qui pourtant nous offre une œuvre éminemment « intellectuelle » si pas « conceptuelle »…son travail s’inscrirait en réalité dans la vision de l’art que proposait Duchamp c'est-à-dire l’art comme une question de cerveau et non pas de rétine//

La question qu’on peut se poser dès lors c’est pourquoi il continue à faire la peinture à partir du moment où il déclare la faillite de l’image et qu’il donne tant d’importance au texte ? Pourquoi ne fait il pas ‘juste’ de la philosophie ? D’autres se demandent ce qui resterait de son oeuvre  si on lui ôtait le texte qu’il tisse tout autour de celle-ci ?
Ces questions sont surtout des critiques  assez facile il me semble de l’œuvre de LT. Elle m’ont amener, et je terminerai par là, à réfléchir avec Barthes sur une question plus large et plus positive quelque part : pour Barthes l’esthétique , serait non pas la science qui étudie l’œuvre en soi mais bien l’œuvre telle que le spectateur, ou le lecteur la fait parler en lui-même  alors avec LT on peut se demander si son «  offre de texte » est une invitation qu’il ferait au spectateur de manière explicite afin ce que dernier crée son propre texte  (je pense avoir lu que c’était bien là l’essentiel de son geste : amener le spectateur à recréer ses  propres images) ou alors LT avec cette « offre de texte » nous mâche-t-il la tache, nous coupe-t- il l’herbe sur le pied en nous imposant « son «  texte », nous empêchant dès lors de créer le nôtre ?


Deuxièment Axel ...

Proposition d’Axel

Cours modeste sur Luc Tuymans          Mardi 8 février 2011 ESA Saint-Luc

Trois concepts pour s’approprier la peinture de Luc Tuymans : Image, mémoire, absence.

Pas la peine pour moi de vous retracer la chronologie de mon appropriation de la peinture de LT. Je suis, sur ce coup-là en tout cas, beaucoup moins méthodique que Juliette. J’ai loué un livre à la Hoofstedelijk Openbaar Bibliotheek à la Monnaie. C’est avec ce livre que je suis allé au rendez-vous avec Juliette (le rendez-vous où nous avons pour finir décidé de faire ce projet à deux). J’étais à Brugges mais je n’ai pas réussi à donner forme à cette belle journée. J’ai lu la monographie de Phaidon (la fameuse source magique de notre petite soirée) et le reste est venu lentement. Et puis, in extremis, j’ai lu une interview de lui que Juliette m’avait passée en me disant : « tu verras comme il est puant ! ». J’ai lu cette interview et j’y ai encore trouvé des choses intéressantes.
Comme je vous l’ai dit dans l’introduction, il y avait une hésitation entre la manière faible (le commentaire donc) et la manière forte (l’appropriation, la recherche-action). Si Juliette se plaçait plutôt au cœur de la manière forte, je me place plutôt dans l’entre-deux. Je vous propose une réflexion sur trois concepts en vue d’approcher la peinture de LT. Je me suis aidé dans cet exercice par la réalisation d’une carte mentale pour mettre ces trois concepts dans des relations.

Image

Au départ du travail de LT, il y a l’image. C’est normal, pour un peintre. C’est simple. A-t-on tout dit ? Non, encore faut-il préciser quels types d’image, ce qu’il en fait et dans quel but. Encore faut-il préciser ce que nous dit l’image et ce qu’elle ne nous dit pas. Enfin, quel titre donne-t-on à cette image et ce que le titre rajoute.
Voilà le parcours. Voilà une façon d’entrer et d’utiliser la peinture de LT.
Voici les mots-notions que je rattache à la notion d’image :
  • L’objet >>>> la représentation de l’objet
  • La photo >>> le rôle qu’elle joue (source ou résultat)
  • Le tableau >>> la source à partie duquel il a été réalisé (objet, photo, mémoie, abstraction)
  • Le titre >>> l’image a-t-elle un titre et quels liens entre les deux ?
  • La signification >>> l’image a-t-elle un sens ?
  • Les couleurs ou le noir et blanc
  • Le rôle >>> quel rôle joue l’image ?
  • Original/Copie/Original-Copie ? >>> quel type de rapport ?
Mémoire

Deuxième point d’accroche de LT, la mémoire. Un rapide parcours dans les livres qui lui sont conscrés indique ce fait indéniable : LT aborde le thème de la mémoire. La mémoire est cette faculté de donner une présence à quelque chose d’absent, de passé. On voit bien-sûr des liens avec l’image. La mémoire peut prendre la forme d’une image, mais aussi d’un affect ou d’un texte, ou encore un mélange de tout ça.
Essayer de vous rappeler de la communication de Juliette. Que reste-t-il ? Chez l’un ce sera une idée, chez l’autre une posture, chez le troisième, un regard. Que ferait le peintre de tout ça ? Que fera celui qui n’était pas là ? Quelles traces restent ?
Voici les mots-notions que je rattache à cette idée de la mémoire :
  • La fidélité par rapport à la réalité
  • Le bon/mauvais souvenir
  • Les failles de la mémoire : amnésie/oubli/Déni/Mort
  • Le devoir de mémoire
  • Le traumatisme
  • L’horreur
  • Le lieu
  • Les traces

Absence

L’absence est peut-être la porte d’accès mystérieuse à la peinture de LT. Dans l’interview mentionnée plus haut, le journaliset pose à LT la question suivante : « Se pass du modèle vivant, avoir pour modèle une photographie, n’est-ce pas une manière de souligner, de célébrer l’absence ? » Et LT de répondre : « Evidemment. C’est l’absence qui m’intéresse. C’est l’indifférence qui m’intéresse. »
Quelle forme donner à l’absence ? Quelle place ? Comment la rendre présente ?
La peinture de LT est une longue marche vers ce non-lieu. Il n’aura de cesse de trouver des réponses picturales à ce drame.
Voici les mots-notions que je rattache à cette idée de l’absence :
  • Le souvenir
  • L’objet comme reste
  • La trace physique
  • Le lieu comme vide
  • Le signe indexical


Au départ était la copie
LT a commencé son parcours de peintre en peignant son autoportrait. Le résultat lui a semblé valable jusqu’au moment où il a comparé ce portrait avec un autoportrait de Spilliaert. Les deux se ressemblaient trop : il en a conclu à l’impossibilité de l’original. Il fera des copies. Il recyclera des images préexistantes : des faux authentiques. Il installe d’emblée sa peinture dans une réflexion sur l’image. Il remet en question le rôle du tableau mais aussi le rôle de la réalité.
Ce que je peins a-t-il réellement existé ? La mémoire est-elle fidèle ?
La peinture représente. La mémoire présente ce qui a été. L’amnésie, l’oubli et la mort montrent les failles du travail de mémoire.
Pour LT, le sujet de la deuxième guerre mondiale va assez vite s’imposer. Mais montrer l’horreur n’a aucun sens. Le devoir de mémoire passera par les objets et les événements du quotidien. Il a dit dans la même interview « Tout est objet ». Des images existantes seront traitées pour elles-mêmes, pour leurs qualités plastiques, chromatiques. Il va extraire un état d’objet et c’est le titre du tableau qui viendra au secours de la signification. Gas Chamber est, à cet égard, emblématique. L’image impose son sujet, le titre le confirme. Une de ses toutes dernières toiles « Bureau » de la série Corporate montre un bureau de type bureau d’affaire. Que laisse transparaître ce tableau : une ambiance executive : un de ces bureaux tout à fait impersonnels où des objets, qu’on devine à la fois fonctionnels et design, viennent parler des heures d’angoisse qui passent à attendre on ne sait quel miracle économique : une hausse des taux, une OPA hostile, un appel intime …
Ces objets et ces événements parlent de l’absence. Ils présentifient des atmosphères, des ambiances, des tragédies mais en ratant toujours leur but. La mémoire qui sert à représenter l’horreur (ici LT met la shoah en conversation avec la misère contemporaine) est toujours parcellaire, toujours incomplète. Elle est toujours inadéquate mais reste nécessaire. Il peint à partir de photos. La photo est comme une mémoire : la celluloïde ne fait qu’enregistrer la lumière qui tombe dessus, sans aucune traduction. Il n’y a pas d’ordre symbolique. La mémoire collecte des traces.
 La mémoire rate toujours le réel. Prenez les mémoires d’un écrivain. On lit, on essaie de comprendre la genèse de telle œuvre mais on rate le réel.
LT a peint beaucoup d’autres intérieurs. Toujours, inlassablement,ces intérieurs trahissent l’absence de la personne. Son exposition Repulsion à Cologne en 1992 est une référence à Polanski et cherche à induire la paranoïa qui naît d’un intérieur. Pensons à Lost Highway de Lynch, aussi. Le réel d’un intérieur est lourd.
LT travaille beaucoup sur les signes indexicaux. Ceci mérite une explication. Le signe indexical est la trace physique d’une absence, de ce qui manque mais active la narration.
Prenons un exemple du quotidien que l’on pourrait trouver dans la peinture de LT. J’arrive dans une chambre d’hôtel. J’enquête sur une personne. Dans la salle de bain, je tombe sur deux brosses à dents. La seconde brosse à dent est l’index d’une relation : il y a deux personnes qui vivent (ou du moins dorment) ensemble. Voilà la narration commence. Dans le livre sur LT que nous avons utilisé, on trouve d’autres exemples : la fumée comme index du feu, la poussière comme index de l’accumulation de temps, la cicatrice comme index de la blessure, les symptômes comme index de la maladie.
Le regard de LT est celui d’un diagnosticien : il fait parler les choses par des signes qui trahissent l’absence de ces choses. Nous sommes dans le registre de la mélancolie.