Cours modeste #2 Britten, Barber, Ravel
« Vous ne voyez que ce que le peintre vous montre, vous n’entendez que ce que le poète vous dit, la musique va bien au-delà : ne forme-t-elle pas votre pensée, ne réveille-t-elle pas les souvenirs engourdis ?(…) La musique seule a la puissance de nous faire rentrer en nous-mêmes ; tandis que les autres arts nous donnent des plaisirs définis. » Balzac, Gambara.
A discuter…
Comment écouter de la musique classique, comment ne pas se cantonner dans un rôle passif mais somme toute confortable de récepteur…comment retrouver la capacité d’être un auditeur actif comme le sont ceux qui ont les compétences techniques, comme l’auditeur du XVIII qui écoutait la musique de connivence avec le compositeur.
L’amateur, aujourd’hui (qui n’est pas musicien) n’a à sa portée pour appréhender la musique parfois que quelques éléments biographiques du compositeur, si pas, la seule capacité de percevoir le son, la sonorité plaisante ou non de cette langue inconnue.
Nous proposons quelques outils modestes pour développer une écoute plus créative de la musique.
Première lecture : Barthes (évidement), L’obvie et l’obtus.
Entendre est un phénomène physiologique, écouter est un acte psychologique.
RB distingue 3 types d’écoute :
- L’alerte : l’être vivant tend son audition vers des indices (comme l’animal)
- Le déchiffrement : des signes qu’on essaye de capter.
- La signifiance : viser qui parle, qui émet : j’écoute = écoute moi….
Ø Une première piste méthodologique pour écouter : distinguer ces 3 moments lors de notre écoute…et surtout être attentif à ce troisième type d’écoute… intersubjective, qui vise non pas ce qui est dit, ou émit, mais vise qui émet ?
Pour RB la musique serait « l’art des coups » (RB parle de Shumann) :
Quand il entend S, il entend ce qui bat dans le corps du compositeur…
Le corps de S. serait, selon RB, un corps pulsionnel, qui se pousse et se repousse, qui passe sans cesse à autre chose, un corps étourdi, distrait et ardent à la fois…
Au plan des corps, l’auditeur exécute ce qu’il entend.
Il y aurait donc un lieu du texte musical où s’abolit toute distinction entre le compositeur, l’interprète et l’auditeur.
(Le retour jouissif du « coup », telle serait l’origine de la rengaine).
Rem : le coup peut prendre plusieurs figures qui ne sont pas forcément celle de l’accent violent. RB appelle coup n’importe quoi qui fait fléchir brièvement tel ou tel partie du corps, même si ce fléchissement ressemble à un apaisement…
La musique n’est donc pas linguistique mais corporelle.
Ø Une autre piste: Etre attentif aux « coups » : comment bat le corps du compositeur, et donc de son interprète ? Et pour y répondre : qu’est ce que mon corps ressent lors de cette écoute ?
Deuxième lecture : C.Levi Strauss : Regarder, écouter, lire.
La musique est une folie. Par rapport à l’écrivain (condamné au sens), le musicien est toujours fou.(RB)
Pour RB, l’instrument parlerait sans rien dire (quasi parlando), il serait le geste d’une voix : il n’y aurait pas de sémiologie, pas de grammaire musicale.
Levi Strauss (LS) le rejoint : pour lui, la musique n’a pas de mot, les notes n’ont pas de sens en elles-mêmes, la musique exclut le dictionnaire.
Et pourtant il ya un discours, un sens général. En effet ce sont les combinaisons de notes, nous dit LS, qui forment le sens, le texte…
En observant un trio à cordes, je découvre ceci : chaque musicien semble vouloir engloutir son instrument. Il se contorsionne, comme pour englober son outil, faire corps avec lui comme si il voulait produire la musique de l’intérieur.
Cette combinaison des deux, du musicien et de son instrument, constitue bien une espèce hybride, mi-homme, mi-outil…
Ø Observer les musiciens : le rapport de leur corps avec l’instrument…
Ø Etre attentif à cette absence de personne, d’identité des musiciens eux-mêmes…
Ø Sont-ils des marionnettes ?
Pantin, marionnette ?
Mais actionnés par quels fils ?
Ceux de la partition…
En effet, chaque musicien a les yeux rivés sur la partition. Si ce regard se perd…flanche, perd le fil des portées…le musicien pourrait se désarticuler, la musique se taire.
Mais qu’y a –t-il sur ces partitions : des notes, un code.
Le musicien utilise un code mais il ne produit pas de parole qui ont du sens…c’est pour ça qu’il serait condamné à la folie nous dit RB.
Pourtant il produit quand même un texte, une énonciation.
De quel type de texte s’agit-il ?
D’une image…pour RB, il s’agit même d’une « image qui rayonne »…
Troisième lecture : Gambara de Balzac.
Ø Ecouter une musique, comme on regarde une image.
Ce n’est pas une nouveauté, Rousseau déjà postulait un lien d’homologie entre l’opposition mélodie/harmonie et l’opposition dessin / couleur…. Pour lui, cependant, toute musique devait avoir un sens comme « le peintre qui ne pouvait jeter sur sa toile des traits hardis sans aucune ressemblance.. » ; il présentait et condamnait, par ces propos, l’idée d’une peinture non figurative, une peinture « où on resterait dans la sensation pure »…
On pense aussi aux Voyelles de Rimbaud dans ses Illuminations (mis en musique par Ravel ? d’ailleurs) où il a associé chaque son à une couleur…(poème sur Table des traces)
Et aussi Balzac qui, dans sa nouvelle Gambara, compare la musique à la science…la musique comme un art qui emploie les théorèmes de la science. « Elle tient à la physique par l’essence même de la substance qu’elle emploie : le son est de l’air modifié… (lire p.77-78).. Le son serait donc de la lumière sous une autre forme : l’une et l’autre procède par des vibrations qui aboutissent à l’homme et qu’il transforme en pensées dans ses centres nerveux. La musique, de même que la peinture, emploie des corps qui ont la faculté de dégager telle ou telle propriété de la substance mère, pour en composer des tableaux.»
Ø Ecouter de la musique comme on regarde un tableau…mais comment fait-on ?
Voilà un océan de possibles.
Toutes les pistes offertes par l’analyse esthétique pourraient donc « marcher » pour la musique ?
Je reviens en terrain connu.
Je vous livre quelques pistes qui marchent particulièrement bien avec mes élèves quand ils sont face à des tableaux…
« Par le regard je touche, j’atteins, je saisis, je suis saisis…toujours le regard cherche, c’est un signe inquiet… »RB
- Tout simplement, quelle est l’histoire que l’auteur/compositeur me raconte ?
- Quelle est la place que l’auteur/compositeur m’assigne (suis-je invité à y pénétrer, dois-je y rester extérieur) ?
- Quel est le détail qui me touche, qui me permet ma propre lecture de l’oeuvre, en musique on parlera de moment, plutôt que de détail… ?
- Qu’est ce que cette oeuvre me permet de découvrir sur moi-même (miroir) ?
- Comment cette œuvre me regarde-t-elle ? Quelle intention/attention a-t-elle à mon égard ?
« Même si l’on a tendance à concevoir les œuvre d’art comme des objets sur lesquels on pose son œil, l’histoire des images montrent que c’est en fait l’art qui souvent garde un œil sur nous : pensez, par exemple, à ces figures médiévales dont les grands yeux nous regardent d’en haut, conçues a-t-on dit pour produire un sentiment de culpabilité et de malaise chez le spectateur… » Dorian Leader : « Ce que l’art nous empêche de voir », Payot, 2003
-« Regarder une image, c’est désirer, devant une image, nous avons reconnaître ceci : c’est qu’elle nous survivra probablement, que nous sommes devant elle l’élément fragile, l’élément de passage et qu’elle est devant nous l’élément du futur, l’élément de la durée.. » G. Didi Huberman, Devant le temps.
Quelle est donc ma fragilité devant cette oeuvre?
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PISTES POUR UNE ECOUTE CREATIVE
Comment le corps du compositeur/interprète fait-il battre mon corps ?
Quelle est l’histoire qu’il me raconte ?
Quelle place m’assigne-t-il ?
Quels sont les moments qui me permettent une lecture personnelle de l’œuvre ?
Qu’est ce que j’apprends sur moi-même ?
Comment l’œuvre me regarde-t-elle ? Est-elle bienveillante, culpabilisatrice, charmeuse, ensorceleuse, violente, intrusive…
Cette œuvre me survivra, je suis de passage, quel est ce passé que je représente ?
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