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samedi 3 décembre 2011

Prochaine activité de RED/Laboratoire Pédagogique >>> ce mercredi 7 décembre

"L'automne; la vie dénuée de sens (...) Je traîne dans les bistrots. M'assieds près de la fenêtre, plonge mon regard dans la brume, dans les arbres mouillés, jaunes et roux. Où est la vie ?"
 
Milos Crnjanski, Journal de Carnojevic
 
Ce petit message pour vous signaler que la prochaine chambre d'écoute aura lieu le mercredi 7 décembre à 18h30 à la salle Allende à l'ULB. Il s'agit du second volet de la collaboration de RED/Laboratoire Pédagogique avec Eimigrative Art dans le cadre de l'exposition Penser la Yougoslavie 20 ans après.
 
Adresse : Salle Allende Campus du Solbosch Bât F1 22-24 avenue Paul Héger à 1050 Bruxelles.
Entrée gratuite.

Réservation souhaitée
 
Par téléphone : 0479/801456 ou 0494/418.465


Cours modeste #6 Poétique de l'histoire yougoslave > Communication de Juliette

Pour ce cours modeste-ci nous avons, Axel et moi, fait la lecture créatrice d’un texte de Jacques Rancière, La poétique du savoir.
Cette démarche se veut donc modeste car intuitive et non érudite, elle se présente comme un bricolage, plutôt que comme un objet fini. Nous vous présentons ici un processus de connaissance plutôt qu’un savoir établi. Ce que nous vous exposons ce soir c’est la mise en texte de pérégrinations suscitées par la lecture du texte de Jacques Rancière. Ce sont ces connexions que nous avons établies entre les propositions de l’auteur et nos lectures…
Introduction : un cours modeste comme un tapis
Ma proposition relève d’un travail artisanal que j’ai voulu proche du « tissage », mot qui est tiré de Poétique du savoir...
(image tissage + image hantai)
J’ai, en réfléchissant à ce terme de « tissage », réalisé que la démarche de nos cours modestes relevait en fait, elle aussi, du travail de tisserand. Nous ne parlons jamais d’une voix, nous sommes trois et nous ne parlons au nom de personne, nous entre-mèlons les bribes de nos lectures libérées de toute vérité historique ou doctrinale aux fils d’un texte existant…  ici le vôtre.
Je voudrais donc tisser au travers de ce texte comme une trajectoire à l’image de ces figures créées pour apprivoiser ce qui est fugace et incertain qu’on appelle « image de pensée ». Marie effectuera le tracé de cette trajectoire au tableau.
(image de pensée Marandon)
Le propos du cours : Ecrire l’histoire
Cette idée de « tissage » je l’emprunte, je l’ai dit, à la Poétique du savoir quand vous écrivez à propos du mode de récit démocratique qu’il devrait s’apparenter plus à un « réseau de paroles, de sujets, de collectifs tissés de mots fragiles », à la manière de Proust, Joyce ou Woolf plutôt qu’à des récits qui auraient comme sujet le peuple comme chez Hugo ou Zola.
Ce mode de récit se rapproche de l’essai : ce genre sans genre, cette écriture qui ne tend pas à exprimer un savoir mais que serait en soi un processus de connaissance. Le cours modeste est nous l’avons dit, l’exposition d’un processus de connaissance.
Deux textes lus récemment font échos à cette idée de tissage …L’ « Essai comme forme » d’ Adorno, pour qui « l’essai n’avancerait pas de manière univoque mais au contraire les moments (seraient) tissés ensemble comme un tapis. C’est du serré de ce tissage que (dépendrait) la fécondité des pensées »…et plus loin, pour revenir aux vertus didactiques de l’essai, Adorno écrit : « Tout comme l’apprentissage d’une langue étrangère l’essai comme forme s’expose à l’erreur…il est lié à l’absence de certitude. »[6] (Je reviendrai sur cette notion de langue, qu’Axel a déjà évoquée).Et j’insiste cette notion d’erreur possible et cette absence de certitude qui sont au cœur du concept de cours modeste.
Et puis, Rilke, relu avec bonheur 20 ans plus tard, dans deux de ses Lettres à un jeune poète, il évoque le roman de JP Jacobsen, Niels Lyhne. ..D’abord il exhorte son correspondant à le lire par ces mots : « Passez un moment dans ce livre, apprenez y ce qui vous semble digne d’être appris par vous, mais surtout aimez-le. Cet amour vous sera rendu mille fois, et quoi qu’il advienne de votre vie, il pénètrera le tissu de votre avenir comme l’un des fils les plus important parmi tous les fils de vos expériences, de vos déceptions et de vos joies »[7]…et dans la lettre suivante, toujours à propos de ce livre : « plus on le lit et plus il semble qu’il contienne la totalité de la vie…aucune expérience ne fut trop infime, et le moindre des évènements s’y déploie tel un destin, lequel est lui-même comme un large et merveilleux tissu dont chaque fil a été guidé par une main infiniment douce, placé à côté d’un autre, maintenu et soutenu par cent autres. »[8]
(image Ivana broderie révolutionnaire)
Ce qui m’a intéressé ici, c’est qu’il met l’expérience d’une part et le détail, l’infime d’autre part au centre de son propos, ce qui me parait essentiel quand on parle de savoir…et, a fortiori, quand on parle de savoir historique.
Je passerai par deux autres auteurs qui ont également abordé l’histoire par le détail, Barthes et Benjamin.
Roland Barthes, dans son cours sur le Neutre au Collège de France, se penche sur l’histoire dans son chapitre sur l’arrogance. Pour lui, l’histoire serait arrogante par ce qu’elle retient et par ce qu’elle oublie. Il oppose à cette histoire arrogante la tentative de Michelet qui a eut l’ambition de vouloir rendre la mémoire à tout (retour sur l’infime, le détail). Nous pouvons ici faire un parallèle avec la pensée faible par opposition  à la violence du savoir dont parlait Axel.
Roland Barthes propose comme alternative à l’histoire, arrogante, la littérature, seul lieu, selon, lui où cette mémoire non arrogante serait postulée, la littérature qui serait comme  « rayonnante », écrit-il ! Nous retombons sur cette idée de toile, et donc de tissage…
Walter Benjamin, véritable « chiffonnier de la mémoire » qui  a tenté de saisir la figure de l’histoire en fixant les aspects les plus inapparents de l’existence, ses déchets presque, Hannah Arendt écrit dans son « Walter Benjamin chez Arléa: « Plus l’objet était petit, plus il semblait susceptible de contenir, sous la forme la plus concentrée, tout le reste ».
(image Pistoletto, Venus in rag)
Dans Poétique du savoir, ceci dit, la question n’est pas de savoir si l’histoire relève de la science ou de la littérature… A la suite Adorno, quand il parle de l’essai, votre proposition est claire c’est à mi-chemin entre les deux qu’on se situerait. Et ce mi-chemin il reste à le créer. Vous revendiquez une poétique propre à l’histoire qui se rapprocherait du genre sans genre qu’est l’essai.
Poétique du savoir comme un jeu d’enfant :
L’histoire n’a pas de langue propre. Voilà le constat. Elle doit donc se l’inventer.
Quel vaste et beau projet que l’invention d’une langue !
Ca me rappelle quand j’étais enfant et qu’on s’inventait une langue avec les copines pour ne pas être comprises des autres filles de la classe.
Adorno parle aussi d’enfance quand il s’agit de l’essai: « (…) on ne peut assigner un domaine particulier à l’essai. Au lieu de produire des résultats scientifiques ou de créer de l’art, ses efforts mêmes reflètent le loisir propre à l’enfance, qui n’a aucun scrupule à s’enflammer pour ce que les autres ont fait avant elle. »[9]
Je voudrais, avant de poursuivre sur la problématique de la langue dans laquelle s’écrirait l’histoire, m’arrêter un instant sur cette notion d’enfance…et proposer deux pistes de réflexion encore fragiles car peu abouties mais que j’avais néanmoins envie de partager avec vous…
Tout d’abord, l’enfant comme réceptacle de la mémoire, comme incarnation de la survivance et j’illustrerai mon propos par un extrait du film Dancing Dreams.
(affiche/photogramme Dancing Dreams)
Et puis, seconde piste, l’histoire qui n’a pas de langue propre peut-elle être considérée comme analphabète …je vous ferai alors écouter un morceau de musique..
Dancing Dream c’est ce film qui relate l’expérience merveilleuse que fait vivre Pina Bausch à des adolescents quand elle décide de monter avec eux un de ses plus célèbres spectacles Kontakthof...parmi eu une jeune fille d’origine yougoslave (Kosovo) qui évoque son parcours personnels et les traumas qu’elle porte en elle…
(extrait Dancing Dreams chap 6 ?)
Mon idée serait que ces enfants, dits de la guerre, constitueraient en en quelques sortes comme des traces du passé dans le sens où les enfants révèlent le poids du passé inscrit dans leurs gènes, qu’ils extériorisent au travers des gestes ou des paroles qu’ils mettent en scènes notamment dans leurs jeux (ici la violence avec laquelle la jeune fille danse)… Les enfants, contrairement aux adultes, s’approprient ce qui est refoulé, devenant alors comme des « minis historiens » qui travailleraient de l’intérieur l’Histoire et la mémoire d’une nation en combinant les temporalités : l’instant présent et immédiat dans leur jeu, le passé, et par leur être en devenir, l’avenir. J’ai entendu parler d’une réalisatrice belge …Vanagt qui aurait travaillé ce sujet là dans ses films au travers du cas des enfants de la guerre au Rwanda et au Congo.
Deuxième piste, toute aussi fragile : si, comme l’enfant, l’histoire n’a pas de langue écrite peut-on dire qu’elle est analphabète ?
En voici une de langue d’analphabètes : le « cante jondo » gitan dont parle G. Didi Huberman dans « Le danseur des solitudes ». Et je tisse ici un de mes fils à l’exposé d’Axel, en échos aux analphabètes du village de la mère de Pedro Almodovar…
(écoute La libertà de José Mercé)
Je fais ce détour par ce chant d’analphabètes car il invite à la liberté, il résonne comme une contestation (celle qui manquerait à la démocratie actuelle comme vous l’écrivez)…Contestation de la langue établie, du savoir.
Leiris, dans L’âge d’homme, fait l’apologie de l’analphabétisme : « L’analphabétisme n’est pas l’ennemi du langage, il peut être compris, non pas comme l’état sauvage ou infantile de la parole poétique, mais comme sa maturité, sa sagesse philosophique et enfantine (on y revient), son état de grâce, c'est-à-dire son libre jeu »[10]
L’histoire a donc ce champ de possibles, ce terrain de jeu libre face à elle. Elle peut/doit se créer sa propre langue. Et comme tout acte de création, on parlera, d’acte de résistance.
Elle n’est pas la première à devoir s’inventer une langue pour survivre.
Je terminerai ainsi par l’évocation de 3 écrivains qui ont du s’inventer une langue…
Plusieurs auteurs d’Europe centrale, de langue allemande, se sont retrouvés dans cette situation. Deux auteurs dont j’ai déjà parlé, Rilke et Benjamin mais aussi bien évidement Kafka.
Rilke, qui considérait le monde autrichien comme un compromis superficiel (il ya en d’autres dans l’histoire des nations européennes de « compromis superficiels »,…) a failli abandonner plusieurs fois l’allemand, il a alors revendiqué une langue poétique construite en dehors de tout souvenir linguistique, voir en l’opprimant. Et c’est donc comme un objet étranger, comme un matériau poétique rebelle qu’il a finalement abordé cette langue (l’allemand).
Benjamin et Kafka, tous deux d’origine juive, vivaient au milieu de 3 impossibilités : l’impossibilité de ne pas écrire (car il devait se libérer) ; l’impossibilité d’écrire en allemand (la langue de l’oppresseur) ; l’impossibilité d’écrire autrement qu’en allemand (car il n’existait pas d’autres langues disponibles, le yiddish représentant pour eux la langue de la bourgeoisie juive dans laquelle ils ne se retrouvaient pas). Etrangers dans leur propre langue, ils ont choisi de l’intensifier afin de la dépouiller de ses significations. C’est la thèse de la  « littérature mineure » développée par Deleuze et Guattari.
Intensifier la langue c’est exactement ce que propose Adorno quand il parle de l’essai comme étant un exercice où plus la pensée serait resserrée, plus elle serait féconde.
Benjamin, Kafka et Rilke avaient donc l’écriture en sursis.
Un peu comme ce que vous dites de l’histoire qui serait en sursis plutôt que finie ou clôturée.
La littérature mineure, la pensée faible, l’analphabétisme, le savoir douteux….notre champ sémantique s’enrichit…
Merci.






[1] In Jaques Rancière, Le maître ignorant, Paris, 2004
[2] in Bergala, L’Hypothèse cinéma , Paris, 2006.
[3] Vladimir Nabokov, Littératures I/II, Fayard, 1983
[4] Celle qui nous donne envie de visualiser ce que nous lisons en opposition à l’imagination personnelle ou émotionnelle, celle qui nous fait nous identifier à ce que nous lisons.
[5] La notion de plastique sociale permet de penser cette classe comme une sculpture sociale. Celui qui se re-singularise est, alors, artiste. Le professeur n’est que l’orchestrateur de cette « œuvre ».
[6] Adorno, Note sur la littérature, Flammarion, 1984, p.17.
[7] Rilke, Lettre à un jeune poète, Folio plus classique, 2006, p.19
[8] opcit, p.21
[9] Adorno, p.6.
[10] Je tire cette réflexion sur le « conte jondo » et l’analphabétisme du livre « Le danseur des solitudes » de Georges Didi Huberman, Minuit,

Cours modeste # 6 Poétique de l'histoire yougoslave > Communication d'Axel

Cours modeste # 6 Poétique de l’histoire yougoslave

Le point de départ de tout ça, c’est le rapport à l’histoire. Histoire pour certains, histoires pour d’autres. Or l’histoire passe par la langue. Tout simplement l’accès à la langue ou encore la traduction : chercher ce qu’on a en commun.

J’ai imaginé ma contribution de ce soir comme un jeu, inspiré en cela par l’image que l’on trouve sur l’émission de France  Culture consacrée à Jacques Rancière : l’image de la craie qui sert à tracer un cercle. Comme des enfants dans une cour de récréation. Il y a donc différents temps dans mon propos.

1/Mise en route
Soit l’histoire yougoslave ! A la fois simple et compliquée. Au départ, il y a une histoire de langues (une Histoire de la langue !)
Je suis tombé sur un livre dans ma bibliothèque. Un livre pas encore lu (un vestige de mon passé de libraire où je recevais beaucoup de livres). La création des identités nationales[1] parle de création et d’Histoire et, compte tenu du sujet qui nous rassemble ce soir, je ne pouvais faire l’impasse sur un petit détour par ce livre. L’identité nationale est, selon l’auteur de ce livre Anne-Marie Thiesse, quelque chose qui se crée. Nous ne sommes pas loin de la fiction, de la poétique.
Par chance, il y a un chapitre qui parle des Slaves du sud (l’ancienne appellation des Yougoslaves) : au départ de ce pays, il y a la volonté de quelques uns (une poignée) de faire « converger » des langues pour donner une assise commune à ces peuples (on ne parlera pas des intérêts géopolitiques qui sous-tendent tout ça, c’est une autre Histoire) : Vuk Stefonovic Karadzic, Bartholomaüs Kopitar et Ljudevit Graj ont décidé de rogner les différences de leurs langues pour trouver un fond commun. La langue serbo-croate était née et ouvrait la voie à la Yougoslavie.
Je vois ce geste fondateur comme une façon de « tracer un cercle » autour d’eux. Il s’agit d’écrire ensemble l’histoire des Slaves du sud. Ici, la langue préexiste au pays. Et curieusement, la langue sera aussi son tombeau.
La langue est le point commun qui permet tout, la traduction est ce qui palie à ce manque. La fiction (comme écart) vient seconder la vérité.

2/Premier Pas : Almodovar
C’est ici que je m’autorise un petit détour par le cinéma et la biographie de Pedro Almodovar (dont le très beau dernier film nous remémore la présence). Pour le cinéaste espagnol, la fiction vient embellir la réalité ou pour le dire avec les mots de cette soirée : la poétique vient embellir la vérité.
Dans son petit village natal de la Manche, la mère du jeune Pedro avait ouvert une officine où les analphabètes se faisaient envoyer du courrier afin d’en prendre connaissance et, éventuellement, d’y répondre. Très vite, Pedro se rend compte que sa mère embellissait le contenu des lettres. Quand il voulu savoir pourquoi elle faisait ça, la mère lui répondit que la réalité avait besoin de la fiction pour être plus belle, plus complète. Le travail de la mère était de donner accès à la langue (cette même idée de traduction) mais dans ce trajet s’opérait autre chose : une action poétique. La traduction était infidèle. Ce moment aura été fondateur dans la création de l’identité du cinéaste : il fera de son cinéma une poétique de la réalité. Il s’émancipera aussi de son pays, mais ça c’est une autre Histoire !
Une fois de plus, mais différemment, la langue est ce qui manque !
La traduction a des rapports avec la démocratie au sens de Rancière : « la démocratie, c’est ce combat des démocraties, elle se conteste, vers sa propre limite » ! La traduction est un combat d’une langue avec une autre (ou avec son absence).

3/Deuxième Pas : Joseph O’Connor
Toujours sur le chemin de création de ce cours modeste, j’entame la lecture du nouveau livre de cet éminent représentant d’une certaine nouvelle littérature irlandaise. Muse raconte la rencontre et l’amour du poète et dramaturge John Millington Synge pour l’actrice Molly Allgood. Sur l’histoire véritable, O’Connor vient greffer sa prose. La greffe prend car le roman est bon mais le lecteur se demande bien-sûr où commence la vérité et à quel moment l’auteur la trahit. Mais est-ce vraiment une trahison ? Quelles différences entre des Mémoires et ce type de roman qui parle d’un personnage historique ? L’homme qui écrit ses mémoires n’a-t-il pas lui aussi enclencher une dynamique poétique dans le récit qu’il fait de sa vie, de ses actions et pensées ?
J’ai beaucoup aimé ce livre car il parle par la voix de Molly Allgood qui, cinquante ans après la mort de son amant, se pose encore toutes les questions de l’amour impossible (le poète venait d’une famille traditionnelle où la mère était toute puissante tandis que Molly vient, elle, d’une famille pauvre comme l’Irlande en a le secret). Sur Dailymotion, on trouve une présentation du livre Ghost Light (titre anglais) par son auteur : « je me suis basé sur des faits réels en imaginant beaucoup de choses ensuite. L’histoire vraie est pleine de mystères, on ne sait pas comment ils passaient leurs journées ensemble ». Plus curieux encore, on a retrouvé les 400 lettres de Synge à Molly mais les lettres de Molly ont toutes disparus. Que peut faire celui qui entreprend de raconter cette histoire ? Et puis, O’Connor a cette parole forte que l’on retrouve dans le texte de Rancière : « Il y a donc cet énorme silence au cœur de cette histoire or le silence est particulièrement attractif pour le romancier qui doit combler les blancs ». [2] Petite précision : ce livre n’est pas sur la Table des Traces, car il est parti parmi les membres de mon club de lecture.

4/Troisième Pas : Vattimo
Je terminerai ce bref parcours par un livre qui manque (encore un). Je l’ai lu quand j’étais étudiant en philosophie (il y a plus de 20 ans), il m’a profondément marqué (j’avais fait un travail à son propos pour le séminaire d’Anne-Marie Roviello, professeur ici à l’ULB) mais je ne l’ai pas retrouvé (encore une trace de mon métier de libraire : trouver le livre qu’on sait avoir en stock mais qui manque, encore et toujours).
Du coup, je dois en parler à partir de ma mémoire et me faire aider par les nouveaux médias. Le livre de Vattimo que je retiens se nomme La Pensée Faible. Face à la métaphysique forte, violente ; Vattimo défend l’idée d’une pensée faible. J’ai tout de suite aimé ce mot : il résonne en moi comme quelque chose de fragile. Robert Maggiori en parlait dans ces termes dans Libération : « Percer les catégories “ violentes ” de la métaphysique traditionnelle, pour retrouver un sujet “ affaibli ” qui soit enfin disponible “ pour une relation moins dramatique avec sa propre mort ”, disponible à l’Autre : le silence de la nature, l’animalité, le corps, la nature, Autrui. »[3]
Si je n’ai pas retrouvé La Pensée faible, j’ai par contre mis la main sur un autre livre de Vattimo : Les Aventures de la différence. Dans ce recueil d’articles, la pensée de Vattimo est encore toute empreinte de Nietzsche et Heidegger. C’est en lisant ces grands auteurs, il esquissera sa pensée. Chez eux, il a trouvé l’idée de la disparition des fondements et de la dissolution de l’histoire unitaire.

Le Grand Ecart : retour à l’histoire yougoslave
Que faire de ces trois références face à notre sujet de départ ? Le triangle Almodovar-O’Connor-Vattimo aide-t-il à penser ce rapport poétique à l’histoire ? L’histoire est habitée par ses manques, ses silences, ses erreurs de langages, ses écarts de traduction : un événement historique a lieu et la machine à histoires des témoins et de ceux qui leur succéderont se met en marche. Je pense que l’auteur d’histoire collecte des traces (opérant un choix) mais, à un certain moment, il trace autour de lui un cercle comme pour dire : maintenant laissez-moi travailler avec ce que j’ai, je vais me débrouiller !
Ivana Momcilovic et ses amis ont aussi joué à ce jeu : l’expo qui nous entoure nous le dit : la collecte, la traduction, le barrage (de la langue), le tissage sont les armes de l’historien modeste. Le résultat est une véritable poétique de l’histoire yougoslave.



[1] Thiesse A.-M., La création des identités nationales/Europe XVIIIe-XXe siècles, Paris, 1999.
[2] Sur le site Dailymotion : http://www.dailymotion.com/video/xl4qtl_joseph-o-connor-muse_news
[3] Maggiori R., Libération, 7 novembre 1985

Cours modeste # 5 Filmer à Tout Prix > Communication d'Axel & Marie

Cours modeste # 5 Filmer à tout prix !

Introduction

Tout d’abord, le choix de rassembler ces trois courts-métrages. Le prétexte est simple : ils parlent tous les trois de femmes. Mais est-ce réellement suffisant. Je me mets brièvement à la place du spectateur (et de la spectatrice) qui tient en mains le programme (que j’ai trouvé in extremis au Potemkine). Je feuillette, mon regard s’arrête, essaie de comprendre la logique (ces programmes en forme de fasicules plus ou moins gros ont toujours une logique) et j’arrive bon an mal an à la page 50.
Qu’est-ce qui va me donner envie de prendre une place pour cette séance ? Et vous tous assis en face de nous, quelle est l’impulsion qui nous offre votre présence ?

Irma

J’ai vu ce court-métrage documentaire avec un certain plaisir. D’emblée le propos nous happe : que reste-t-il d’Irma ? On se pose assez vite la question documentaire par excellence : qu’est-ce qui vaut la peine d’être vu d’une vie ? Irma est une lutteuse, encore et toujours ! Elle boîte, claudique, a du mal à s’ «insérer » dans les rues encombrées de sa ville mexicaine. Son visage est émouvant : entre la fierté et la tristesse, entre la parade et l’amertume. C’est pour ça qu’elle nous touche !
Irma a décidé de nous montrer son corps. Elle est lutteuse. Son corps est une arme et si cette arme doit encore trancher, il faut encore et toujours l’aiguiser !
Et puis, comme un surcrôt d’âme, Irma chante, compose. Mais là encore, sa production est teintée de mélancolie : ses rancheros parlent d’hommes qui n’assument pas, les mandilons !
Plus tard, dans la progression du récit, un doute s’installe : à quel niveau se place-t-on ? Il y a différents genres de documentaires. Quel est le genre de celui-ci ? Veut-on se moquer ? Ou juste témoigner ?
Retour à ma question : que reste-t-il d’Irma ? Deux choses, deux types de choses : des gestes qui témoignent du corps et des archives qui témoignent de l’histoire. Corps et histoire sont intimenement liés chez Irma. Elle construit encore son corps car il est témoignage de son histoire.

Nous allons faire un petit détoure par la recherche de Marie qui s’est penchée avant tout sur la notion du geste et puis je reprendrai la parole  

Solitude – Absence : Mater Dolorosa 

Le portrait de chacune de ces femmes renferme selon moi un fort sentiment de solitude et d’absence …

Depuis quelques années je me penche sur le travail de l’historien de l’art allemand Aby Warburg, celui-ci a eu l’intuition de créer une histoire des images à partir des gestes dont certains apparaîtraient comme des survivances d’une époque à l’autre, d’une civilisation à une autre.

D’autres penseurs ont également évoqué l’importance des gestes comme traces de l’histoire.

Le poète Reiner Maria Rilke écrit dans une de ses « Lettres à un jeune poète », que le geste est ce qui sait, mieux que tout, « remonter depuis les profondeurs des temps ».  

Le philosophe Pierre Fédida écrit : « L’Antiquité – païenne, juive, chrétienne – a inventé des gestes dont nous sommes encore, souvent à notre insu, les acteurs… ».

On pourrait donc écrire l’histoire de l’art et l’histoire en générale à partir des gestes humains.
C’est ce que nous allons tenter de vous montrer à travers des liens que nous faisons entre ces films et d’autres œuvres.

Alors je me suis interrogée sur quel serait ce geste qui aurait marqué l’histoire des femmes et exprimerait ce sentiment de solitude et d’absence. Quel est le geste qui aurait migré entre la réalité et les oeuvres d’art mais aussi à travers l’histoire des images elles-mêmes.

Et j’ai pensé que ce geste exprimé par les femmes de tout temps et qu’on retrouve dans l’iconographie depuis le début de l’Antiquité est un geste de douleur, de déchirement face à la mort.

Images de pleureuses

Le corps fléchi, il est terrassé par la souffrance qui lui est infligée, les bras sont parfois levés, le visage est crispé hurlant à la mort – d’autres femmes tentent de soutenir ce corps pour ne pas le laisser s’écrouler.

En observant ces images de pleureuses, leurs gestes me rappelaient ceux qui ont lieu dans un combat de rue.

Cette notion de gestes de la rue/de ces gestes populaires m’a fait penser au travail de Pier Paolo Pasolini qui « articulait poétiquement ces images du présent à une énergie qu’il puisait dans les survivances, dans l’archéologie sensible des gestes, des chants, des dialectes, des architectures ruinées des faubourgs de Rome ». (Ce sont les mots de Didi-Huberman).

Dans son film Accatone, j’ai pu retrouver dans la scène de la bagarre cette même gestuelle, ces mêmes hurlements du corps, cette manière de le retenir, de le contenir, cette violence qu’on retrouve dans les pleureuses.

Extrait de Pasolini : Accatone = 4e Chapitre 45’50’’




Captation d’image Pasolini - // Pleureuses

L’iconographie des pleureuses comme la scène de bagarre d’Accatone nous montre des corps qui luttent contre la douleur.

J’aimerais ici faire référence à aux Mythologies de Roland Barthes[1] dans lesquelles il écrit que pour lui le catch n’est pas un sport mais bien le spectacle qui aurait pour finalité l’exposition de la Douleur et je le cite:

« Ce qui est ainsi livré au public, c’est le grand spectacle de la Douleur, de la Défaite, et de la Justice. Le catch présente la douleur de l’homme avec toute l’amplification des masques tragiques : le catcheur qui souffre sous l’effet d’une prise réputée cruelle offre la figure expressive de la Souffrance ; comme une Pietà primitive … ». 

On la vu, Irma est une ancienne catcheuse. La carrière d’Irma ne survie que dans ses gestes, elle continue de préparer son corps, à nous montrer ce qui reste de sa vie.
Cette routine masque imparfaitement l’absence de combats qui étaient sa raison d’être. Cette routine est en soi le seul combat qui lui reste.

« Le catch, écrit encore Roland Barthes, propose des gestes expressifs, exploités jusqu’au paroxysme de leur signification… Le geste du catcheur vaincu signifiant au monde une défaite que loin de masquer, il accentue et tient d’un point d’orgue, correspond au masque antique chargé de signifier le ton tragique du spectacle. Au catch, comme sur les anciens théâtres, on n’a pas honte de sa douleur, on sait pleurer, on a le goût des larmes ».

Axel

Au niveau du concept même de lutte, on peut se poser la question suivante : la lutte a-t-elle un genre qui lui correspond plus particulièrement ? L’inconscient collectif fait sans doute pencher la balance du côté masculin mais l’histoire de l’art semble contredire cette affirmation. Dans les images projetées, on voit des femmes qui luttent dans une espèce de retenue du corps de l’autre. La lutte est aussi soutien. L’histoire de l’art ajoute un poids dans la balance : la femme lutte. Et de toute façon, la lutte même masculine fait appel à une grammaire toute féminine de la préparation du corps.
Bon an mal an, Irma est un « personnage » : il reste des choses qui nous indiquent une présence.







Diane Wellington

Nous sommes d’emblée dans un climat d’archives. Un texte agrémente le tout et installe une ambiance de film muet. La bande sonore mêle vent et piano.
Le texte nous donne, au compte-gouttes, des indices. Ce film nous place sous le signe du manque : toujours quelque chose manque à l’archive : la voix, la cohérence (ce qui tient ensemble les choses nous dit l’éthymologie latine de ce mot), la succession chrono/logique. Et puis une personne vient véritablement … à manquer. La gamine a disparu. Le champ sémantique s’enrichit : solitude, mélancolie, disparition, absences, fugue, inertie (du corps)… Diane se serait enfouie avec un bel étudiant…
Le soufflé retombe ! Le film passe à la couleur et devient comme une édition de presse à sensation… Beaucoup de questions sont posées ! Puis la caméra se fixe sur la voie ferrée comme si la caméra (qui capte ces archives) s’était joliment fourvoyée !

Boltanski : Archives – La petite mémoire – L’absence :

J’ai envie de revenir sur cette notion d’archive à partir du travail de Christian Bolstanski.

Dans sa volonté de recencer les gestes, les attitudes, les objets de personnes ordinaires, l’artiste Christian Boltanski, élabore un travail sur la mémoire individuelle et collective. Il se fait archéologue de la la petite mémoire, celle qui n’est pas conservée dans les livres d’Histoire.

Dans son œuvre où sont conservés les habits de François C. (1972), les chaussettes marquent encore dans leurs plis la posture et la pliure du pied qui les habitaient.    

Toutes ces traces que l’on conserve de la vie de quelqu’un – un corps mort, une photo, un vêtement usagé – sont les témoins d’existences passées, les reliques de l’humanité qui fonctionnent de manière ambivalente car comme le dit Boltanski :
« Plus on donne à voir le souvenir de quelqu’un, plus tu désignes l’absence de la personne … »

La seule chose que nous pourrons connaître à propos de Diane Wellington est l’histoire qui nous est contée par ces images, travaillée à partir d’archives c’est donc une manière de lutter contre l’oubli, de créer de la mémoire comme dit Marker, de parler de l’absence.

Comme nous l’affirmions plus haut, le réalisateur de ce film Arnaud des Pallières a inséré des phrases à la manière d’un film muet. La succession rapprochée des trois dias suivantes semblent indiquer ce travail sur les objets comme reliques d’une personne mais aussi comme ce qui déclenche les récits, fussent-ils effrayants !

(insérer les trois dias textes tirées de Diane Wellington)

Boltanski  « pense que l’art est une tentative d’empêcher la mort, la fuite du temps ; l’art est toujours une sorte d’échec, un combat que tu ne peux gagner ». 

Samuel Beckett estime « qu’être un artiste c’est échouer comme nul autre n’ose échouer »[2].

C’est à se demander si toute l’histoire de l’art ne raconterait pas cette même lutte contre l’oubli,  ce même combat perdu d’avance ?

Red Shirley

Lou Reed, ce punk d’avant la lettre (je suis passé par l’expo Europunk au BPS 22 à Charleroi et ces images ont contaminées ma vision de l’icône rock) réalise une petite interview de sa cousine. Une fois de plus, la caméra s’attarde sur des archives : des photos : ce petit bout de femme, de cousine a traversé le siècle (et pas de n’importe quelle façon !) On en vient à penser à ce qu’aurait fait Arnaud des Pallières avec ces photos-là : une autre histoire !
Ce qui frappe cette fois, c’est la peau de la dame : on dirait du parchemin ! Lou, avec ses questions d’où pointe trop l’étonnement, déçoit. Certaines questions de Lou semble mettre en cause la mémoire de Shirley mais elle reprend le fil. Les souvenirs sont là, bien présents, purs comme des diamants. Traverser le siècle et collecter des souvenirs avec autant de précisions : Shirley est une véritable éponge. Son récit devient celui de son exil : à 19 ans, elle est seule sur un bateau avec ses deux valises. Elle navigue vers le Canada où elle ne restera que 6  mois.
Le passage du N/B à la couleur est trop facile. On joue avec nos sentiments. Parfois les images stoppent tandis que la voix continue : on arrête pas le flow de Shirley (sauf quand Lou met des extraits de son groupe Metal Machine Trio). Pour ma part, j’ai parfois eu envie de remettre Lou à sa place : il manque de respect à sa cousine.

Marie

Ce qui je crois, est effectivement interpelant Axel, c’est la peau de cette femme ! J’aimerais partir de là pour parler du travail du sculpteur italien Penone qui aurait une conscience aigue que la sculpture travaille avec des traces plutôt qu’avec des objets, que son objet serait même la trace… 

Une partie de son travail consiste à relever des empreintes. Un fragment de corps est prélevé : ici une paupière qui est reporté par frottage sur un support. Par ce travail qui relève d’une grande patience, Penone rentre en contact de manière intime avec la peau, il se trouve au plus proche de ces fragments qu’on a pas l’habitude de voir de si près.

C’est comme si par ce travail le sculpteur pratiquait une lecture tactile des choses.



Il y a en effet, deux manières de connaître les choses : ou bien on veut le point de vue et alors il faut s’éloigner, ne pas toucher ; ou alors on veut le contact et alors l’objet de la connaissance devient une matière …

Ce que nous offre la peau de Red Shirley c’est de nous permettre un contact, une immersion tactile dans cette œuvre cinématographique.

Didi Huberman, dans son livre sur Penone, insiste sur le fait qu’entre soi et l’espace il n’y aurait que la peau. Elle serait  « un porte-emprunte du monde alentour qui nous sculpte, la peau comme un champ de fouille de notre propre destin ; une écriture de notre chair… »

Tu vois je rejoins ici ton idée de peau comme parchemin … Les parchemins étaient ces feuilles, ces peaux servants de support à l’écriture.
Les archives, les objets, les gestes mais aussi la peau comme traces de l’Histoire.

Merci



[1] Le monde où l’on catche in Mythologies…
[2] Samuel BECKETT, Trois dialogues, 1998, Paris, Minuit, pp.29.

Cours modeste # 5 : Filmer à Tout Prix > Communication de Juliette

CM# 5 Portrait de femmes
Intro : cours modeste
Un cours modeste relève d’un travail de « création » plutôt que d’interprétation, d’invention, plutôt que d’explication.
On se donne comme contrainte un sujet, généralement l’œuvre d’un artiste, ici, 3 courts métrages, et un délai pour s’approprier ce travail, ici un mois tout en sachant que notre activité principale est d’enseigner dans une école secondaire.
Ce que nous proposons c’est ce que nous appelons la « lecture créatrice » d’une œuvre.
La lecture créatrice c’est un peu notre méthode pour nos cours à l’école mais aussi pour nos « cours modestes ». Cette idée d’aller-retour entre notre pratique enseignante et nos activités au sein de RED est fondamentale, l’une alimentant les autres et vice versa.
On s’est inspiré de 3 auteurs pour développer cette « lecture créatrice », Alain Bergala, Vladimir Nabokov et Joseph Beuys. Bergala dans son livre l’Hypothèse cinéma (livre sur lequel je reviendrai tout à l’heure) parle de la pratique du cinéma à l’école, il nous invite à toujours remettre le film étudié dans le contexte de sa création. C'est-à-dire que par des efforts d’imagination et de logique on fasse remonter le film jusqu’au moment où l’artiste a pris ses décisions (on vous proposera un exercice dans ce sens toute à l’heure). Vladimir Nabokov, dans ses cours de littérature[1], invite ses étudiants à être de « bons lecteurs » c’est à dire des lecteurs actifs et créatifs qui, tout comme l’artiste qui a fait appel à son imagination pour créer son livre, fassent eux aussi appel à ce qu’il nomme  « l’imagination impersonnelle[2] ou le plaisir artistique ». Enfin, Joseph Beuys, en formulant l’idée de la « plastique sociale », permet de penser le groupe scolaire comme une sculpture en acte : sera artiste l’élève qui trouve matière à se re-singulariser dans la classe scolaire.[3] Comment ? En étant également co-créateur des œuvres qui lui sont proposées.
Pour ce cours modeste-ci nous avons, Axel, Marie et moi, fait la lecture créatrice de ce trio de films regroupés sous la thématique de Portrait de femmes.
Cette démarche se veut modeste car intuitive et non érudite, elle se présente comme un bricolage (dans le sens d’un assemblage précaire), plutôt que comme un objet fini. Nous vous présentons ici un processus de connaissance, d’appropriation de savoirs, plutôt qu’un savoir établi. Ce que nous vous montrons c’est la mise en texte des pérégrinations suscitées par la vision de ces films. Ce sont ces connexions que nous avons établies entre les propositions des cinéastes et nos lectures aussi bien de textes que d’images. Nous ferons en effet références à des oeuvres littéraires ou philosophiques, à des peintures, des photos, des extraits de films, et aussi à un fragment de pièce théâtre de gestes…
Notre proposition relève donc d’un travail de montage à partir d’œuvres existantes un peu à la manière de ces 3 cinéastes qui font des films (entre documentaire et fiction) qui s’articulent autour d’images d’archives et qui crée par là même de la mémoire…L’artiste de référence en la matière étant sans doute  Chris Marker, véritable maître dans l’art d’interroger les images, dans l’art de créer de la mémoire à partir d’archives, d’extraits de films de fiction, de documentaires, d’interview…La mémoire, qui elle-même, est monteuse par excellence car elle agence des éléments hétérogènes, elle creuse des failles dans le continu de l’histoire pour créer de nouvelles circulations. Voilà exactement l’ambition d’un cours modestes : interroger une vision, se demander ce que je vois dans ce que je ne vois pas et ce que je ne vois pas dans ce que je vois.
Le fil rouge du cours qui vous paraitra sans doute un peu décousu c’est la figure de la femme esseulée, marquée par l’absence et qui existe/résiste au travers de gestes comme autant de survivances, c'est-à-dire de formes qu’on retrouverait à travers les différentes époques de l’histoire.
On commencera par un dialogue entre Marie et Axel qui, à partir de ce qu’ils ont perçu des films, proposeront toute une série de connexions possibles avec l’histoire de l’art.
Puis, nous poursuivrons ce travail de montage en associant à ces premières pistes de réflexions, la vision créatrice (c'est-à-dire active ou participative) de deux extraits de films. Nous terminerons par vous présenter le travail de mise en scène d’un fragment de pièce de théâtre de gestes réalisé par des élèves d’une de nos classes. Si le sujet même de la pièce illustre le fil rouge que nous avons choisi pour ce cours, ce fragment serait comme la pièce finale et provisoire de notre jeu de domino.
è  Axel et Marie
è  Vision créatrice d’extraits de films et de frgaments de pièce de théâtre : Jeanne Dieleman, 18 quai du commerce, de Chantal Akerman / Galerie de Portrait de Marie André (deux femmes, deux réalisatrices belges) /Fragment de Concert à la carte de Kroetz par les élèves de 4è à Ste Marie
Jean Renoir a écrit dans ses Entretiens et propos, 1979[i]
 « Pour aimer un tableau, il faut être un peintre en puissance, sinon on ne peut pas l’aimer ; et en réalité, pour aimer un film il faut être un cinéaste en puissance ; il faut se dire : mais moi j’aurais fais comme ça, comme ci ; il faut soi-même faire des films, peut-être seulement dans son imagination, mais il faut les faire, sinon on n’est pas digne d’aller au cinéma. »
Et Bergala : « Le spectateur qui regarde quelque chose sur un écran a du mal à imaginer qu’il y aurait pu avoir autre chose que ce qu’il voit.. » .

Nous  vous proposons, par cet exercice, d’être co-créateur  des oeuvres d’art présentées plutôt que consommateur ou analyste.
Par un effort d’imagination et de logique nous vous invitons donc à remonter jusqu’au moment où l’artiste a pris ses décisions, moment où les choix étaient encore ouverts. (distribuer fiche de consignes)


è  Lecture créatrice d’extraits de films/pièce de théâtre :
Jeanne Dieleman, 18 quai du commerce, de Chantal Akerman , 1974
Galerie de Portrait de Marie André, 1982
Concert à la carte de F.X. Kroetz, 1972
 « Pour aimer un tableau, il faut être un peintre en puissance, sinon on ne peut pas l’aimer ; et en réalité, pour aimer un film il faut être un cinéaste en puissance ; il faut se dire : mais moi j’aurais fais comme ça, comme ci ; il faut soi-même faire des films, peut-être seulement dans son imagination, mais il faut les faire, sinon on n’est pas digne d’aller au cinéma. » Jean Renoir, Entretiens et propos, 1979.
« Le spectateur qui regarde quelque chose sur un écran a du mal à imaginer qu’il y aurait pu avoir autre chose que ce qu’il voit.. » A. Bergala, L’hypothèse cinéma, 2002
Consigne : Soyez co-créateurs  des oeuvres d’art présentées plutôt que consommateur ou analyste. Comment ?
Par un effort d’imagination et de logique vous essayez de remonter jusqu’au moment où l’artiste a pris ses décisions, moment où les choix étaient encore ouverts tant pour les mouvements des acteurs, que pour le décor, l’ambiance sonore…
                                                           gestes             objets             éléments sonores
Jeanne Dielman…



Galerie de portraits



Concert à la carte




[1] Vladimir Nabokov, Littératures I/II, Fayard, 1983
[2] Celle qui nous donne envie de visualiser ce que nous lisons en opposition à l’imagination personnelle ou émotionnelle, celle qui nous fait nous identifier à ce que nous lisons.
[3] La notion de plastique sociale permet de penser cette classe comme une sculpture sociale. Celui qui se re-singularise est, alors, artiste. Le professeur n’est que l’orchestrateur de cette « œuvre ».


[i] Cité par Alain Bergala, opcit.