Nous attendions cette soirée avec une certaine impatience (en effet, ce n'est pas tous les soirs que l'auteur d'un livre qui a influencé fortement notre pratique nous fait l'honneur de nous rendre visite) et nous n'avons pas été déçu : Alain Bergala est un homme simple et efficace. Simple car il nous a parlé directement, sans l'écran de son prestige; efficace car il a habilement retracé son parcours et le chemin qui a mené à l'élaboration de son grand livre l'Hypothèse cinéma (éd. Cahiers du Cinéma).
A l'aide d'exemple (la leçon de cinéma avec Abbas Kierostami), il a plaidé pour un "ralentissement" pédagogique et pour une "désignation individuelle de personne à personne" dans la relation entre le professeur et l'apprenant.
Dans la voiture qui nous menait à la gare du midi, Bergala nous disait sa frustration de ne pas avoir pu "travailler" sur des extraits ... nous comptons l'inviter à nouveau pour une "cabine" consacrée aux enjeux pédagogiques du cinéma comme art. Affaire à suivre donc ...
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jeudi 29 septembre 2011
lundi 19 septembre 2011
Leçon inaugurale d'Alain Bergala à l'agrégation des arts plastiques de l'ESA Saint-Luc/ ESA ERG
Jeudi 22 septembre à 18h15 aura lieu la leçon inaugurale de l'agrégation par Alain Bergala. Cette avant-soirée se passera au 58 rue d'Irlande à 1060 Bruxelles et sera suivie d'un drink...
Titre de la leçon : Pour une pédagogie de l’oeuvre d’art comme création »
Titre de la leçon : Pour une pédagogie de l’oeuvre d’art comme création »
« La pédagogie du cinéma a longtemps été une pédagogie de l’analyse du film comme objet fini, une pédagogie du spectateur-récepteur. Peut-on pratiquer une pédagogie du cinéma - et des arts plastiques - qui considère l’oeuvre comme trace du processus de création ? Cette pédagogie serait une pédagogie de la création et ferait appel au spectateur comme créateur potentiel."
mercredi 7 septembre 2011
Compte rendu du voyage de RED/Laboratoire Pédagogique à Dijon (5-7 juillet 2011)
Fin de saison à Dijon
Pour clôturer sa première saison d’activités, RED/Laboratoire Pédagogique était invité à Dijon.
Tout d’abord nous avons donné un cours modeste (le quatrième) sur l’artiste Dionisio Gonzalez à l’invitation de ArchiDB et de Latitude 21[1]. Le public, bien que peu nombreux, a été très réceptif et participatif. La table des traces, un écran où était projeté une mnémosyne (une sorte d’essai visuel et plastique autour de l’œuvre Aqua Gasosa I exposée dans les locaux de Latitude 21, la maison de l’environnement et de l’écologie du grand Dijon) et un tableau noir (pour proposer la carte mentale du cours « en train de se faire ») formaient le cœur du dispositif.
Ensuite, nous avons présenté une chambre d’écoute sur le thème Bidonville, l’autre ville à l’invitation d’ArchiDB (Sébastien Godret présentait une magnifique exposition sur ce thème à la Ferronerie) et du festival Dièse #6.
Dans la prestigieuse Cour de Flore du Palais des Ducs de Bourgogne, une petite centaine de personnes ont bravé les intempéries pour assister à cette 26 ième chambre d’écoute qui prenait place dans le Cabaret Vidéo.
L’assemblée, d’abord bruyante voire sceptique, s’est peu à peu laisser conquérir par « les bons sons » rassemblés par l’équipe. Au début et à la fin, une interview retransmise sur écran géant permettait de présenter le projet.
Ce bref voyage nous a aussi permis de prendre la température de cette ville qui fait partie de ces villes moyennes dont RED ambitionne d’écrire le manifeste. Nous avons pu ainsi rencontrer toute une série d’acteurs culturels : Karine Ducourant de Modes de Vies (une association qui rassemble et fait travailler des artistes et des habitants), Antoine Dumont (un artiste sonore présent l’année passée au festival Dièse #5 avec son Mur du Son) ou encore Cyril Brulé (architecte et scénographe, notamment de la très belle exposition Ballades urbaines/architecture et urbanisme de 1850 à aujourd’hui que nous avons pu visiter à Latitude 21).
Nous avons aussi découvert Le Consortium (le nouveau local du Centre d’Art Contemporain déssiné par Shiguru Ban) et son exposition d’ouverture très conceptuelle (pour ne pas dire indigeste). Très digeste par contre fut la découverte (via Karine et Sébastien) du resto végétarien Les Pieds Bleus (place Emile Zola : un écrin de vie au cœur de la ville).
Evidemment trois jours pour prendre la mesure d’une ville (même moyenne), c’est court mais nous sommes repartis avec l’envie ferme de revenir très vite…
Nous tenions à remercier Sébastien Godret (d’ArchiDB), Sébastien Appert (de Latitude 21), Philippe Grongnet (Mairie de Dijon, affaires culturelles) et Karine Ducourant pour leur(s) invitation(s).
Merci aussi à François Dubuisson (membre actif de RED via ses nombreuses participations aux chambres d’écoute), Nicolaï Drutskoy et Yannick De Henau d’avoir consenti à faire le déplacement (avec Annah, Siham et Neil : des enfants déjà/encore curieux).
Dionisio Gonzalez (cours modeste à Dijon, Latitude 21)>>>Comunication de Juliette
Dionisio Gonzalez/ Communication Juliette
Je voudrais que ce cours soit pris comme une divagation, comme un lieu de rencontres arbitraires, comme une « ligne d’erre » qui aurait pour origine le travail de Dionisio Gonzalez.
Elle, cette divagation, circule autour de textes, d’images, de souvenirs…
Elle s’articule comme ces « images de pensées » : figures crées pour apprivoiser ce que le langage est impuissant à saisir, pour conserver ce qui est fugace et incertain ; schémas griffonnés dans des carnets, esquisses tracées sur un coin de nappe ; traces d’un processus, d’un savoir en construction…
Je demanderai à Marie d’être la « main de ma modeste pensée » et de tracer au tableau..
Ma première rencontre avec DG c’est tout simplement son site sur lequel je visionne cette vidéo/…. qui pour moi a été une séduisante porte d’entrée dans son œuvre.
Elle me replonge dans un projet mené l’an dernier dans une de mes classes autour de la notion d’ « errance », projet né du livre Errances de Depardon et qui nous a menés à la lecture de Nadja de Breton, à la peinture de Spilliaert, en passant par les marches de Richard Long, artiste anglais du Land Art.
Je reprends une lecture entamée pendant ce projet : Marcher, créer de Thierry Davila.
J’y découvre le travail du laboratoire urbain STALKER qui postule qu’il existe un fait urbain qui ne soit pas assimilé à une construction mais à un mouvement. Pour eux la ville est un processus, un devenir à l’œuvre…Stalker se propose d’arpenter la ville pour en faire l’expérience, pour errer à l’intérieur même de sa configuration mutante. Leur travail se fonde sur le regard, sur le mouvement, sur la ville comme expérience. A la suite des situationnistes, ils proposent une déambulation créative supposée capable de faire apparaître une autre ville dans la ville.
Pour Stalker c’est le corps qui est l’outil de discernement.
Le mouvement qui est oeuvre d’art.
Je reviendrai à cette idée de mouvement qui me semble au cœur de la proposition de Gonzalez.
Paul Klee : Introduction à l’art moderne.
Tout devenir repose sur le mouvement.
L’œuvre d’art, pour Klee, est une génèse, et donc un mouvement (et pas son produit).
Il évoque la naissance d’un tableau qui se ferait pièce par pièce, mais il ajoute que pour le spectateur aussi, l’activité de regarder une œuvre se fait par morceaux : « l’œil fournit des morceaux successifs à la cavité oculaire pour s’ajuster à un nouveau fragment, il doit abandonner l’ancien » …
Pour Klee, « on regarde une œuvre d’art comme un animal pâture une prairie », L’oeuvre d’art naitrait donc d’un mouvement et se percevrait dans le mouvement…comme un parcours à rebours de la génèse.
Hervé Guibert le rejoint, dans son livre sur sa pratique photographique, L’image fantôme, il parle de la vue comme une activité proche du toucher et qui recomposerait le tableau du réel touche par touche.
Cette idée du regard par touche m’a amenée à réfléchir au travail de DG en soi. A la facture de cette œuvre. Je n’y connais rien en infographie, mais ce que je vois semble s’apparenter à des collages …il rajoute des éléments fictifs à des restes issus de la réalité. Il revendique d’ailleurs, ais-je lu, la valeur créative des restes…Il travaillerait à une « réécriture architecturales de ces restes (espaces) comme traces de l’histoire »…
A la suite de Walter Benjamin, pour qui « rien ne doit être considéré comme perdu pour l’histoire », Gonzalez redonnerait vie au rebut, à l’inobservé…d’où il produirait un montage de savoir historique…
Dans son travail il fait, en effet, co-éxister le passé, le présent et, grâce à l’infographie, le futur.
Il rajoute donc une dimension à la nature proprement anachronique de la ville.
Penser la ville :
Dans cette anthologie j’avais repéré un extrait de Mille Plateaux de Deleuze et Guattari que je gardais en prévision d’ un cours sur l’urbanisme que j’aurais du donné cette année…je le relis à la lumière de propos tenus par Gonzalez.
DG a choisi de travailler sur les favelas…en réaction à la décision de Lulla de les raser et de reloger ses habitants dans des tours verticales, DG pose son regard sur cette onde horizontale faite de presques riens et propose une autre « solution ».
Deleuze et Guattari dans cet extrait, définissent la ville comme le corrélat de la route, comme une horizontalité qui se définit par des entrées et des sorties, qui impose une fréquence, une polarisation…la ville horizontale qui s’opposerait à l’Etat vertical, synonyme de résonnance et de stratification.
DG versus Lula c’est la ville versus l’Etat, l’horizontalité versus la verticalité.
Et cette idée d’horizontalité, de fréquence me fait penser au mouvement de la marée ce qui me ramène à un spectacle de danse vu l’été passé, Paroroca de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues qui a installé un centre chorégraphique au cœur d’une favela de Rio. Pororoca, est une métaphore qui signifie «mascaret» en français. C’est à dire «longue vague déferlante produite dans certains estuaires par la rencontre du flux et du reflux». À l’image de ce mouvement d’une force inouïe, les onze interprètes de cette pièce deviennent, littéralement, une vague humaine : ils s’élancent, les uns sur les autres, roulent, s’escaladent, géante ondée en déplacement – quoi de plus horizontal que le mouvement de la vague - géante ondée donc qui se brise et se reforme sans cesse. Métaphore en fait de la favela elle-même…On revient à cette idée de mouvement…
(forme DG)
Tristes tropiques de Levi Strauss
Le seul livre que je n’ai jamais lu sur le Brésil est cette oeuvre magistrale de l’ethnologue disparu l’an dernier.
Je retrouve dans mes notes de lecture qu’il y compare la ville à un poème ou à une symphonie « au confluant de la nature et de l’artifice ». « La ville, écrit-il, relève simultanément de la procréation biologique, de l’évolution organique et de la création esthétique » « Elle est à la fois objet de nature et sujet de culture, individu et groupe, vécue et rêvée : la chose humaine par excellence »…
Je ne peux rêver plus beau commentaire à apposer au travail de DG.
Et j’en viens à ma conclusion.
Foucault, Dits et écrits, Des espaces autres.
Je pense que ce que nous propose DG est de vivre une expérience.
Cette toile de 9 mètres ne peut être embrassée du regard, elle nous invite à une traversée.(retour sur l’idée de mouvement, de vague : allées et venues face à la toile)
A la suite, des errances surréalistes, des dérives situationnistes, du collectif Stalker, des artistes du land art, DG nous donne accès à un territoire.
Et comme l’écrit Michel Foucault « c’est à partir d’accès au territoire que peut avoir lieu leur invention ». L’invention qui doit être entendue à la fois comme la découverte d’un objet et l’action d’imaginer cet objet.
Traverser un espace pour le produire …voilà en quelque sorte le projet de DG tel que je le perçois.
Cette œuvre présentée dans cet espace d’exposition où nous sommes nous propose, à nous spectateurs, de nous laisser surprendre par notre capacité à inventer le monde, à l’habiter et le transfigurer, à le produire…DG nous invite, à sa suite, à nous insérer dans le monde, dans son devenir pour croire en lui…
Et j’emprunterai à Deleuze les mots de la fin : « croire au monde, écrit –il dans Pourparlers, c’est ce qui nous manque le plus … »
dimanche 4 septembre 2011
Dionisio Gonzalez : cours modeste à Latitude 21 (Dijon) >>> Communication d'Axel
Cours modeste # 4 (Latitude 21 à Dijon)
Dionisio Gonzalez ou le chaos transfiguré
Dionisio Gonzalez est un jeune artiste espagnol né à Gijon en 1965. Il vit et travaille à Séville et a étudié l'art et la photographie dans plusieurs universités d'Espagne mais aussi en Angleterre. Il a reçu de nombreux prix, notamment le Prix Pilar Juncosa Sotheby's de la Fondation Pilar y Joan Miró.
Quand j’ai commencé à travailler sur l’homme et son œuvre, j’étais à la recherche d’une clé, d’un concept qui me permettrait d’ambrasser son travail. Acqua Gasosa I est l’œuvre exposée ici mais avant aujourd’hui, il fallait se contenter du site internet. Le travail de Dionisio Gonzalez, nous allons le qualifier d’ « entreprise de transfiguration du réel ». Ce mot – transfiguration, transfigurer-, on le retrouve dans le titre de son installation Transfigured Schöenberg. Il indique l’idée de « transformer en améliorant » (Le Petit Robert). Pour ce jeune artiste, transfigurer le réel, c’est faire œuvre de critique sociale face au manque d’organisation du réel.
Quel rapport entre ces deux œuvres, celle que vous avez devant les yeux, et le Schöenberg Transfiguré ?
D’un côté, nous avons les bidonvilles, la matière de départ de DG. Un manque d’organisation, criand. Ou alors une organisation mystérieuse, une logique sous-jacente : Favelas, Shanty Towns, Townships, etc… Des mots commes des plaies. Des métastases urbaines, moitié cancer, moitié contagion joyeuse.
De l’autre, Schöenberg. Un pavé dans la mare musicale du début du siècle. Dans la grande chapelle du musée Patio Herreriano de Valladolid (où l’installation fut présentée en 2009)(par le plus grand des hasards j’ai vu cette installation il y a deux ans et quand on nous proposé de faire un cours modeste sur DG, je n’ai pas directement fait le rapprochement alors que l’installation sur Schöenberg m’avait laissé une très forte impression), des centaines d’enceintes acoutisques pendent du plafond et dessinent une curieuse arborescence. Un manque d’organisation, car les sons de la musique de Schöenberg semblent venir de partout. Des métastases sonores et musicales qui indiquent la fin de quelque chose et le début d’une autre chose : la musique du XXiè siècle est en train de changer.
La ville aussi n’arrête pas de muter et cette logique de la transfiguration, DG va aussi l’appliquer à la ville, la ville jusque dans ses manifestations les plus cahotiques : le bidonville. Le titre de l’exposition proposée par Archidb est très beau car il laisse transparaître que le phénomène du bidonville ne se laisse pas appréhendé d’emblée. L’autre ville mérite qu’on s’y attarde.
Ce manque d’organisation s’apparente au chaos. Mais le chaos vu du dedans révèle margré tout une logique, une organisation propre. Les bidonvilles transfigurés par Dionisio Gonzalez font coexister des matériaux nobles (des matières qu’on imagine appartenir aux toutes dernières tendances de l’architecture et de la décoration contemporaines) et des déchets. La contagion fonctionne dans les deux sens : le noble contamine le déchet et le déchet modifie notre perception du noble.
De même, les sons, les notes de Schoënberg, à celui qui se donne la peine d’écouter, révèlent une myriade d’intentions de sens. Schoënberg Transfiguré, la ville transfigurée : un sens à découvrir au cœur du chaos.
Au grè de mes lectures, le hasard m’a donné de rencontrer un livre de François Jullien qui allait confirmer ces impressions tout en les présentant sous un jour nouveau. Ce livre se nomme Du Mal/Du négatif .
Reprenons Acqua Gasosa I. Si on voit cette œuvre comme une réflexion sur l’architecture ou comme une proposition encore utopique, on peut la rapprocher du travail de François Jullien sur le Mal et le Négatif.
Pour le sens commun, le bidonville est une sorte de mal architectural, une plaie qu’il faudrait garroter et cautériser. Le travail de DG laisse entrevoir une autre pensée : le bidonville de DG n’est pas un mal architectural. Il faut une autre catégorie pour penser la proposition de DG. C’est ici que le travail de FJ s’avère intéressant. FJ distingue habilement le mal du négatif. Le Mal est une catégorie morale, une sorte de jugement sans appel. Il est comme un point (au sens orthographique : la fin d’une phrase). Le négatif est une invitation à penser. On veut se débarasser du mal, on réfléchit au négatif. Le négatif est plutôt une série de points de suspension. Il ne marque pas l’arrêt mais la fin d’une piste et le début de la recherche d’autres pistes. FJ dit : « soit on aspire à la libération du mal, soit on comprend le négatif ». DG travaille sur le négatif en architecture. Ces propositions architecturales sont une réflexion sur le négatif que recèle le bidonville : il pense plus loin que le mal, il entrevoit une suite, il propose des pistes, il intègre. En ligne de mire, il y a ce que FJ nomme une cohérence. On parlera ici de cohérence architecturale : cohérence, du latin co-haerens : ce qui tient ensemble. Comment faire tenir ensemble le déchet et le hi-tech ? Le déchet accueille le hi-tech non pas comme un mal mais comme un négatif qui mobilise. Il y a vraiment une inventivité à l’œuvre.
Le négatif est une proposition. Je l’emprunte à FJ alors qu’elle appartient plutôt au domaine de la morale. Je la prends et je l’applique à l’œuvre d’un artiste. En l’occurrence une œuvre que l’on peut définir comme étant à la lisière de l’art, de l’utopie et de l’architecture. Cet emprunt doit maintenant faire ses preuves : dans quelle mesure peut-on parler d’un négatif en architecture (opposé ou à côté du mal) ?
Pour corroborer ce chemin, nous avons pu compter sur un texte et un livre : hasards de lecture ou intuitions, peu importe : les livres de la bibiothèque s’ouvrent et se consultent au gré de nos envies et intuitions. Les cours modestes servent aussi à ça : prendre la mesure de ses propres ressources bibliographiques. Un livre et un texte donc.
Le premier est un extrait du livre The Urban Condition du psychiatre Leonard Duhl. Cet auteur est un précurseur d’une certaine psychiatrie « écologique », entendez par là qu’il ausculte l’Homo urbanus pour étudier l’impact de la ville sur la psyché humaine. L’extrait que vous trouverez dans le petit feuillet replace la recherche de la ville par l’homme dans le contexte historique en montrant que l’homme désire la ville pour les besoins qu’elle comble. L’urbanisme est une réponse planifiée au confort supposé nécéssaire pour vivre mais selon Leonard Duhl, il faut veiller à ne pas confondre deux choses : le désir de confort et les sacrifices que l’homme est prêt à consentir pour y répondre. L’homme de condition modeste a besoin de la ville. L’homme aisé peut choisir de la quitter pour s’établir dans les zones plus vertes mais c’est parce qu’il gère toute une série de questions (mobilité par exemple) que l’homme modeste n’a pas les moyens de gérer.
L’urbaniste commet parfois l’erreur de répondre avec ses schémas de pensée à toutes ces questions. On arrive à des réponses inadéquates : « Cependant, le fait que des groupes de population à revenu faible souhaitent vivre de façon plus confortable n’implique pas nécessairement, de leur part, le désir de changer de forme d’existence, de style de vie ». Dans cet extrait, le souhait d’un mieux (un autre nom du bien) est contrebalancé par un désir que l’on pourrait qualifier de négatif (au sens de FJ) : ne pas trop changer de forme d’existence, de style de vie. Ce désir est un négatif au sens où s’agite déjà la volonté de trouver une cohérence : il faut que la vie et le lieu de cette vie « tiennent ensemble ». Je pense que les propositions de DG répondent à ce souhait (le mieux vivre, le confort, les commodités) tout en tenant compte de ce désir (le négatif de se maintenir en l’état, fut-il précaire).
Les bidonvilles transfigurés de DG sont la réponse adéquate à cette psychiatrie écologique qui apparaissait aux débuts des années 60.
Leonard Duhl montre aussi que les cités-jardin (et leurs références hygiénistes) peuvent être aliénantes pour des populations plus fragiles : « Pour beaucoup de gens, le plan d’une cité hygiénique flambant neuve peut ne pas signifier paix et sécurité, mais ennui et regret de la couleur, de la vie, qui abondaient dans le chaos des villes anciennes. »
Leonard Duhl et François Jullien se rejoignent en ceci que tous deux montrent que le bien et la paix (et la quête éffrénnée qu’ils entraînent) ommettent le travail que l’homme qui réfléchit est toujours amené à mettre en place : le travail du négatif, sur le négatif : accueillir au cœur de notre petit bien le négatif qui lui sert de miroir, de touche contrastée, de repoussoir. Il en va de notre santé mentale. Les banlieues aseptisées, les gated communities décrites dans la littérature américaine nous montrent les travers de l’habitat étanche, fermé sur lui-même. Le bidonville (a fortiori le bidonville transfiguré de DG) laisse une place à l’Autre de la communauté, à l’autre de la commodité (le déchet et ses déclinaisons artistico-créatives) et redessine l’habitat en fonction du désir de l’homme.
Ecoutons encore Leonard Duhl : « Comme le confort mental et le sentiment de sécurité sont pour eux liés à la présence d’individus qu’ils connaissent, ils créent dans ces bidonvilles des versions urbaines de leurs villages ; et ces agglomérations deviennent des communautés étroitement unies, d’une autre valeur sociale pour eux que les stériles ensembles d’habitation neufs qui ne correspondraient à aucun de leurs besoins, même si on les admettait. »
Enfin un dernier détour : le très beau roman de Latife Tekin Les contes de la montagne d’ordures. Le héros de ce roman est un bidonville et ce qui frappe d’emblée le lecteur c’est la force poétique du récit. La poésie, la fable, la rumeur qui enfle : tous ces logos différents suintent littéralement des décharges. Le déchet devient meuble, le meuble s’immobilise et devient cabane, quartier, histoire, mythe, etc.
En guise de conclusion, à ma communication, nous vous proposons un petit exercice : une réflexion sur le positif et le négatif du Habitat urbain. Le chiasme (le positif du négatif et le négatif du positif) va permettre ce que les neursciences nomment « la bascule » : déceler au cœur d’une situation les potentiels d’action.
Temps de travail…
Enfin, l’œuvre de DG exposée devant nous complète l’exposition Bidonville, l’autre ville proposée par Archidb à la Ferronerie. Nous vous invition demain soir à la chambre d’écoute que RED/Laboratoire Pédagogique à mise sur pieds pour accompagner l’exposition. C’est dans la Cour de Flore jeudi à 22h. Une chambre d’écoute est une playlist commentée à écouter de façon collective. Merci et à demain nous espèrons…
Burkhard : communication de Marie
Balthazard Burkhard
- Démarche d’appropriation :
Je vais vous présenter ma démarche d’appropriation de B.B qui s’est passée en 3 temps :
Tout d’abord apprenant que j’allais faire un cours modeste sur cet artiste que je ne connaissais pas - la première chose à été de le googeliser … d’abord ses images … et puis je me suis rendue à la bibliothèque de St-luc : je trouve un livre ayant pour titre Eloge de l’ombre
Je me mets donc à lire sur B.B – certains thèmes ressortent comme évidents :– la nature morte – les animaux – le corps – sa continuelle référence à l’histoire de l’art dont la plus évidente est certainement son origine du monde // Courbet – la ville - le paysage
Ma première intention était donc de travailler chacun de ces thèmes ; sur ce rapport peinture/photo… en essayant de tisser des liens avec l’histoire de l’art …
Et puis les vacances de Pâques arrivent et je laisse un peu reposer/tomber tout ça …
2er démarche d’appropriation : Lévi-Strauss – Chardin – Madrid :
Un soir à Madrid je me retrouve dans un bar et je reprends mon carnet de notes – je l’ouvre et tombe sur cette phrase de Lévi-strauss :
« Le spectacle d’un panier de fraises ne sera plus jamais le même pour qui se souvient de la façon dont les Hollandais et les Allemands du XVIIIe siècle ou Chardin, les peignirent ».
Je me souviens à ce moment-là qu’une exposition Chardin est justement organisée au Prado – Je décide d’aller la voir le lendemain – De plus cette phrase me rappelle que je dois faire un cours modeste sur Burkhard et un de ses thèmes n’est-il pas justement la nature morte ?
Exposition Chardin :
Il faut le dire - je ne me suis jamais intéressée à la nature morte – et pourtant une véritable magie s’est opérée face à aux tableaux de Chardin. Je laissais mon regard balayer la toile – ce sont pour la plupart de petits tableaux – et mon regard était comme aspiré.
Nature morte :
J’étais assez troublée de ce que je ressentais :
Alors qu’est-ce qui m’a troublé ? Deux choses, je pense –
Premièrement :
C’est que la nature morte s’adresse - contrairement à la peinture d’histoire par exemple - aux yeux, aux sensations, au corps et non à l’esprit – Tout un chacun peu l’appréhender sans aucune connaissance préalables. Il existe un rapport direct à l’œuvre – c’est un fragment de réalité – qui fonctionne comme un tout – tout est là – et aucune explication n’est nécessaire.
Elle nous révèle cependant quelque chose d’important – Alors que nous révèle-t-elle ? C’est le deuxième point :
Deuxièmement :
Ce qu’elle révèle ce sont les structures secrètes de la matière – elle nous montre, à la manière d’un microscope, ce qui est impossible à voir à l’œil nu.
Comme le dit Lévi-Strauss :
« Ce n’est pas un hasard si le trompe-l’œil triomphe dans la nature morte. Il découvre et démontre que, comme le dit le poète, les objets inanimés ont aussi une âme. Un morceau de tissus, un bijou, un fruit, une fleur, un ustensile quelconque, possède à l’égal du visage humain une vérité intérieure – à laquelle comme disait Chardin « on accède par le sentiment, mais que le savoir et l’imagination technique peuvent seules rendrent »
La deuxième chose qui m’a troublée serait donc ce rendu des textures – et donc la technique :
Je me souviens de cette phrase de Diderot sur Chardin :
« Approchez-vous, tout se brouille, s’aplatit et disparaît ; éloignez-vous, tout se recrée et se reproduit »
Notre perception des choses est toujours déterminée par notre distance – le point de vue qu’on adopte face à elles :
Quand on s’approche de très près des œuvres de Chardin – la fraise – le verre d’eau bref - le détail - se brouille, il perd de sa signification et s’inscrit alors dans une sorte de chaos de la matière.
– On aperçoit une sorte de fourmillement de petits points – de grains de matière qui cesse d’être signifiants pour ne plus apparaîtrent que tactiles – nos perceptions sont brouillées - on a alors l’impression que notre œil rentre dans la matière elle-même – notre regard est comme aspiré –
et lorsqu’on rentre au plus profond de la matière – comme si elle s’était pulvérisée … on l’habite, on est à l’intérieur – et s’en dégagent une multitude de sensations physiques … – L’œil explore comme les mains les matières qui dès qu’on s’en éloigne redeviennent formes –
Pascal disait :
« Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance de choses dont on admire point les originaux »
Suite à cette expérience, je pense à l’encontre de cette phrase que comme le disait Paul Klee :
« L’art ne reproduit pas le visible mais le rend visible ».
Je terminerais sur la nature morte, en osant faire ce rapprochement avec Michel-Ange qui pratiquait la taille directe. Il allait choisir ses blocs de marbre à Carrare car pour lui la forme préexiste dans le bloc de marbre et il creuse la matière afin de l’en libérer. Il disait :
J'ai vu un ange dans le marbre et j'ai seulement ciselé jusqu'à l'en libérer.
Il ne fallait donc plus qu’en faire jaillir la forme –
Alors pourquoi ce rapprochement ? : c’est que je pense que Chardin pour réaliser ses oeuvres fouille véritablement du regard ces objets inanimés et en fait surgir la texture.
Pour revenir au rapport avec B.B c’est que ce qui m’a apparu évident dans son œuvre : est que dès ses premiers travaux, B. a le soucis de donner à ses images une matérialité, une sensualité – par les techniques qu’il utilise : l’impression sur toile – l’héliogravure … il cherche à rendre la texture des choses. (Procédé d’impression en creux sur plaque de cuivre gravée qui est imprimée)
Pour moi - autant les œuvres de Chardin que les photos de Burkhard révèlent la vie silencieuse des formes et font surgir à l’œil l’essentiel qui nous échappe.
2e démarche d’appropriation : Aby Warburg :
Mardi passé, j’assiste à une conférence de Georges Didi-Huberman sur une exposition qui s’intitule : Atlas, comment porter le monde sur ses épaules ? Travail, exposition qu’il a réalisé à partir de sa réflexion sur Aby Warburg.
Warburg est un historien de l’art allemand qui constitue, dans les années 1920, le projet d'écriture, qui restera inachevé, d'une histoire de l'art essentiellement véhiculée par des images. Cet Atlas d’image portera le nom de Mnémosyne. (Celle qui se souvient)
Son Atlas est constitué de planches de bois tendues de toile noire, où étaient épinglées reproductions d'œuvre d'art, coupures de presse, publicités : époques différentes, cultures différentes, esthétiques différentes... ».
Voici une de ses planches :
Deux choses apparaissent comme essentielle dans ce travaille :
Tout d’abord : Il présente un argument ayant comme élément des images – des images distantes dans le temps et l’espace – Et ce sont les images elles-mêmes qui donnent une clé pour interpréter les autres images.
Il faut le voir comme un travail d’installation visuelle – qui n’est ni narratif (on n’est pas certain du sens dans lequel il faut lire ces planches) – il n’est pas non plus explicatif (Warburg n’a fourni aucun texte explicatif) – mais il n’est pas muet et crée du sens … car il permet de tisser des liens.
Warburg écrivait le 10 février 1929 :
o « Après-midi j’ai installé Mnémosyne sur des toiles - on peut maintenant l’embrasser du regard, toute l’architecture depuis Babylone jusque Manet et la critiquer ».
Lors de cette conférence deux choses me sont apparues comme essentielles :
Didi-Huberman dit que ce travail :
- Se passer d’explication : car l’explication annule les singularités – ce qui est important ce sont les liens créés par chacun d’entre-nous.
- Il est critiquable et modifiable -
- Il faut l’embrasser du regard : l’Atlas de Warburg tend à faire parler les faits eux-mêmes en les regroupant. Ce regard embrassant crée de nouvelles connections : et ainsi révèle une loi secrète.
Alors je me suis moi-même prêter au jeu –, – j’ai réalisé à partir de cette photo de Burkhard une sorte de carte mentale en images –
Je vous la laisse regarder :
Temps de regard–
Alors je ne vais pas vous l’expliquer – mais Ce qui m’est apparu « en embrassant » ma planche du regard :
– ce qui s’est révélé à moi : c’est que cette œuvre de Burkhard – et l’on pourrait faire le même exercice pour ses autres œuvres - renferme en quelques sortes tous ses autres thèmes : – son rapport à l’histoire de l’art – le corps – le paysage– les animaux – …
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