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samedi 28 janvier 2012

Cours modeste # 7 Wunderkammer : les communications (suite et fin)


CM : Cabinet de curiosités : Marie


Cabinet de Curiosités :

A travers ce parcours en images que j’ai développé suite à mes lectures sur les cabinets de curiosités, j’aimerais revenir sur la notion de spectateur actif déjà évoqué par Juliette.

Carte de pensée CC

Un cabinet de curiosité est une collection désordonnée de ce qui plaît, dérange, intrigue ou encore fascine son propriétaire ... C’est donc dans un espace intime et unique que le spectateur pénètre.
Cette collection est une tentative d’appréhender, de connaître le monde par l’agencement … et les corrélations établies entre art et science.

Devant une telle profusion d’objets, le spectateur sera d’abord impressionné, il aura difficile à trouver un fil conducteur et tentera d’embrasser du regard la totalité de la collection …

Face à l’inattendu, l’œil errant est trimbalé d’étonnement en étonnement provoquant chez le spectateur le désir de connaître, de trouver un itinéraire à parcourir afin de s’approprier, de créer son propre savoir … Provoqué, le regard est amené à s’interroger sur les fondements du réel, sur les relations qu’entretiennent art et nature. Chaque objet y joue le rôle de fiche dans ce grand index général qu’est le monde.

Comme dans l’Atlas d’Aby Warburg, l’œil réalisera, par analogie, par découpage, des associations jusqu’alors cachées qui offriront au spectateur un sentiment de compréhension. Cette connaissance développée par le spectateur n’est pas un discours continu et cohérent, il existe en effet une multitude de lectures possibles, mais une lecture créatrice de cet amas d’énigmes à déchiffrer. L’œil cadre et réalise son propre tableau.

                                                         Talbot Arbre
William Fox Talbot :

Il y a quelques mois, je découvre le livre Pencil of Nature de William Fox Talbot, qui est célébré comme l’inventeur de la photographie puisqu’il réalise dans les années 1835, le premier négatif de l’Histoire.

La photographie va permettre à Talbot de construire son propre musée imaginaire ou si l’on veut son propre cabinet de curiosités.

                                                   Diverses images Talbot

En effet, le travail de Talbot présente un large éventail d’éléments hétéroclites : éléments de botaniques, spécimens scientifiques, feuilles, dentelle, reproductions de gravures, études architecturales, écritures, sculptures, objets divers etc …

La photographie est le moyen par excellence d’arrêter le temps, de capturer les choses les plus éphémères. A l’époque, cette découverte est considérée comme une expérience relevant du merveilleux, d’une certaine magie. 
Image dentelle

Talbot souligne à plusieurs reprises que la photographie est fidèle à son référent, tout en le trahissant :
par exemple cette image de feuille qui apparaît blanche et qui est pourtant verte, la photographie reproduit donc sa structure mais pas sa véritable apparence.

Il souligne également que le photographe ne voit pas tout ce qu’il photographie, l’image permet donc de révéler des choses jusqu’alors secrètes. Talbot envoyait ses travaux à de nombreux botanistes, scientifiques afin qu’ils puissent développer leur connaissance… à partir d’images. 
Image arbre

Le photographe cadre afin de créer son propre discours. Les albums de Talbot sont construits selon un principe de montage des éléments prélevés dans le désordre du monde. Ces juxtapositions d’images pouvant être lues d’une infinité de manière différentes, produisent des discours multiples .

The Pencil of nature est en quelque sorte le premier cabinet de curiosités transportable.

Ce travail d’empreinte, de ces images révélées par l’action de la lumière – Talbot appelait d’ailleurs ses premières photo : images soleil –me rappelaient le travail de l’artiste italien Parmiggiani, que j’ai pu mettre en lien avec le travail de Manuel Geerinck et sa Série Disparition présentée ici au Botanique.

Parmiggiani :
                                                      // avec Luce luce luce

Les premières œuvres intitulées Delocazioni ont été réalisées lors d’une exposition collective organisée à Modène.
Image Délocazione, 1970

L’artiste avait choisi d’investir une pièce du musée utilisée habituellement comme réserve. Celle-ci était encombrée de toute une série d’objets appuyées contre les murs : des œuvres d’art, un bout d’échelle, une poutre etc … lorsqu’il déplace ces objets pour faire de l’espace, il est surpris par la vision des traces laissées en négatif par la poussière. C’est dès lors, ces empreintes, que l’artiste décidera d’oeuvrer[1].

Parmiggiani travaille à partir du feu, le pigment est donc chez lui suie, poussière.

                                          Divers images Parmiggiani

Les œuvres de Parmiggiani sont des natures mortes : une collection d’objets dont il ne reste plus que la mémoire, une collection d’images. Les collections que constitue l’artiste sont autant d’objets d’origines diverses : moulages antiques mêlés à des tessons de bouteilles, collections de papillons avec collections d’horloges, et pour finir, cette collection par excellence qu’est la bibliothèque[2].

La collection est, Juliette l’a dit, un rempart contre la mélancolie. Les œuvres de Parmiggiani, évoquant la présence par la disparition des choses elles-mêmes, sont, également, intimement liées à cette notion de mélancolie. Les œuvres de Parmiggiani ne se laisse pas regarder sans provoquer une certaine douleur : une douleur liée à la perte.

« Une couleur, une lumière, un regard, ce que nous voyons et ressentons en passant se consume dans nos pupilles comme une tragédie silencieuse, interminable, douloureuse, aussi inacceptable que la pensée d’un soleil qui meurt ou d’une quelconque mort en nous »[3].  

Une tragédie silencieuse donc … Cette notion de silence est souvent évoquée par Parmiggiani pour parler de son travail. Il faudrait faire le silence devant les  œuvres, non qu’elles n’aient rien à nous dire, mais faire le silence serait selon Parmiggiani « faire de l’image l’équivalent visuel d’une question qui veut demeurer telle  »[4].

Avant d’atteindre une œuvre dans sa signification, ne faut-il pas faire taire notre raison, nos savoirs, et laisser le silence s’installer en nous … et ainsi permettre aux œuvres de nous parler par leur seule présence.

Revenons à la notion de spectateur :
Carte de pensée CC

Toute œuvre est donc destinée à se laisser façonner par les regards qu’elle rencontre.

Tout lecteur est tenu à un effort d’imagination, d’association, de sélection – il se fabrique une connaissance qui passe par un travail de montage …

Son rôle est de pressentir non de résoudre … l’œil pour voir, pour communiquer avec l’œuvre, doit à son tour se comporter en visionnaire. Grâce à notre œil, nous complétons la vision de l’artiste.

Arcimboldo
// Photos - Arcimboldo

Un autre lien que j’ai fait en visitant cette exposition : les photographies de Roberto Kusterle et les peintures d’Arcimboldo. J’aimerais m’attarder ici quelques instants sur l’œuvre de ce peintre.

L’automne Arcimboldo

Devant une peinture d’Arcimboldo, il existe deux niveaux de perception possibles… Soit l’œil traite l’image comme un tout et se trouve alors face à une figure, soit changeant son niveau de perception, l’œil traite l’image dans ses détails et doit décrypter cette profusion de formes.

L’éloignement, le rapprochement sont tous deux porteurs de sens … mais ces deux niveaux de perceptions sont nécessaires pour faire surgir un troisième sens. Le spectateur est, en effet, conduit à recomposer, à la manière du jeu des sept familles, la famille de l’hiver, du printemps, de l’été, de l’automne … ici carottes, champignons, grappes de raisins etc constituent les thèmes de l’automne.

Paul Klee disait que « l’œuvre d’art naît du mouvement fixé et se perçoit dans le mouvement »…
Arcimboldo produit une peinture éminemment mobile car non seulement, comme face à toute œuvre d’art, les yeux sont en mouvement mais le lecteur se trouve ici devant l’obligation de se déplacer … Par ce déplacement, le spectateur fait donc parti du statut même de l’œuvre.  
Arcimboldo : le cuisinier

Les effets que ces peintures provoquent en nous sont souvent répulsifs … on éprouve d’abord une sorte de malaise face à ce grouillement de formes, à cet entremêlement, tout comme lorsque le spectateur devait pénétrer dans un cabinet de curiosités.

Arcimboldo est contemporain des cabinets de curiosités, et nous le savons le  monstre est alors considéré comme une merveille.  

La merveille, le monstre est ce qui transgresse la séparation des règnes, associant l’animal et le végétal, l’humain et l’animal …

                                               Arcimboldo :

Roland Barthes dit à ce propos que « c’est la métamorphose, qui fait basculer d’un ordre dans un autre[5] »  et lui assigne un autre terme celui de transmigration
Sous nos yeux, les éléments en présence dans les figures d’Arcimboldo sont amenés à transmigrer : raisin, fleurs deviennent chevelures, le citron pendentif, la pomme de terre nez pour former un tout : une figure humaine.

Selon Roland Barthes « Le principe des « monstres » arcimboldesque est en somme que La Nature ne s’arrête jamais ».  Or, dit-il encore, l’exercice d’une telle imagination ne relève pas seulement de « l’art », mais aussi du savoir : surprendre des métamorphoses est un acte de connaissance …[6] »

Surprendre des métamorphoses permet donc d’élargir notre savoir. Le travail d’Arcimboldo me permet de revenir au livre de Georges Salle déjà évoqué par Juliette … Il débute son livre Le regard en ces termes :
Ascension de Rubens

« Devant une petite esquisse de Rubens qui représente une Ascension, toile glauque, nacrée, humectée de rayons, échancrée en coquille, j’entendis quelqu’un murmurer : « on dirait une belle huître »…

Georges Salle poursuit « J’ai souvent pensé que pour mieux comprendre le rôle primordial et parfois suffisant de la sensation dans notre plaisir esthétique il n’était pas inutile de nous référer aux données d’un art, le moins haut placé dans la hiérarchie du goût, en revanche le plus souvent apprécié pour lui-même : l’art culinaire[7].

À l’instar du poète Rainer Maria Rilke, qui a esquissé une méthode du regard qui mettrait de côté la culture afin de laisser parler seulement la sensation, Georges Salle défend une approche des œuvres qui laisserait de côté le savoir, l’histoire de l’art … et ceci afin que le spectateur puisse développer son jugement de goût immédiat, par lequel il découvre qu’il est affecté par une œuvre.  L’art est matière nous y adhérons par les sens.

Les raboteurs de Caillebotte

Face à cette œuvre, j’aimerais que vous vous prêtiez à un exercice. Je vais vous demander de la déguster du regard … de la métamorphoser en mets, de décrire la saveur qu’il a pour vous, ses arômes.























[1] Georges Didi-Huberman, Génie du Non-Lieu, Air, Poussière, Empreinte, Hantise, Les éditions de Minuit, 2001, p. 18.
[2] Ibid, p.87
[3] Claudio Parmiggiani, Stella Sangue Spirito cité in G. Didi-Huberman, Génie du non-lieu, op cit, p. 102.
[4] Ibid, p. 46
[5] Roland Barthes, Arcimboldo ou Rhétorique et Magicien in L’obvie et l’obtus Essais critiques III, Ed du Seuil, 1982, p. 138.
[6] Ibid
[7] Georges Salle, Le Regard , p.11.

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