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samedi 28 janvier 2012

Cours modeste # 7 Wunderkammer : les communications

Cours modeste # 7 Cabinet de curiosités
Communication de Juliette
Lors de nos recherches pour le dernier cours modeste de l’année 2011 qui avait pour objet le texte du philosophe Jacques Rancière, Poétique du savoir, nous avons réalisé que la démarche de nos cours modestes relevait en fait du travail de tisserand. Nous ne parlons jamais d’une voix, nous sommes trois et nous ne parlons au nom de personne (nous n’hésitons pas à citer de grands noms dont nous ne maîtrisons pas spécialement toute la pensée), nous entremêlons les bribes de nos lectures libérées de toute vérité historique ou doctrinale aux fils de nos fragiles intuitions. Nous n’hésitons pas à nous les approprier, quitte à les détourner au passage…
Je voudrais donc tisser au travers de textes littéraires ou plus philosophiques une trajectoire à l’image de ces figures créées pour apprivoiser ce qui est fugace et incertain qu’on appelle « image de pensée ». Marie poursuivra mon cheminement au travers d’images. Sébastien effectuera le tracé de cette trajectoire au tableau.
Un des premiers livres que j’ai trouvé sur le sujet est un petit recueil de nouvelles d’Alfred Kubin: Le cabinet de curiosités.
Alfred Kubin est un dessinateur autrichien du début du XX siècle mais aussi un écrivain. Il était surnommé le « Goya autrichien » car on rapprochait ses gravures, qui faisaient office de satyre de la vieille Autriche des Caprices de Goya, satyre de l’Espagne bourbonienne.
Goya
Le cabinet de curiosités de Kubin est un recueil de 8 textes courts qu’il a écrits en regard de dessins qu’il avait repêchés dans ses cartons à la demande de son éditeur :
« C’est pourquoi, écrit-il, ces quelques dessins n’illustrent pas des histoires comme je l’ai souvent fait du reste….je n’ai écrit les textes qui ne correspondent aux dessins qu’après coup. On pourrait tout aussi bien interpréter ces dessins de cent autres façons et celui auquel mes histoires ne plaisent pas peut s’en inventer d’autres qui lui conviennent mieux. »
page livre kubin
Cette démarche est bien celle du cabinet de curiosités. Une offre de « curiosités » (ici des dessins et des textes) et une place active laissée au spectateur.
Dans le petit texte de présentation du travail de Kubin en fin de volume, j’apprends que ce type de littérature porte un nom : la littérature panoramique :
« Ce qu’on appelait au siècle dernier « cabinets de curiosités » ou « panoramas » étaient des dispositifs optiques constitués d’un vaste tableau peint en trompe l’œil et déroulés sur les murs d’une rotonde éclairée par le haut. Le spectateur des panoramas, placés au centre, avait ainsi l’impression de découvrir d’une hauteur un véritable horizon. On s’efforçait d’y représenter le changement des paysages selon les heures du jour, le lever de la lune, bref d’en faire de parfaites imitations de la nature. Si parfaites d’ailleurs que le peintre David conseillait à ses élèves de « dessiner dans les panoramas d’après nature ».
panorama Robert Barker
C’est Walter Benjamin qui, dans Paris capitale du XX siècle, parle de cette littérature panorama qui se serait développée en même temps que ces dispositifs optiques : « une littérature faite de petites esquissent, dont le revêtement anecdotique correspond aux figures plastiques situées au premier plan des panoramas, tandis que la richesse de leur information joue pour ainsi dire le rôle de la vaste perspective qui se déploie à l’arrière plan. »
photo Jesus de la dope
C’est ce qu’on peut appeler une poétique de la juxtaposition à laquelle le musée peut prêter sa forme mais aussi le cabinet de curiosités.
Avant de poursuivre sur cette idée de poétique de la juxtaposition, je voudrais revenir un instant sur cette notion de panorama en passant  par une autre lecture.
Roland Barthes dans son cours au Collège de France sur le Neutre lors duquel il s’est efforcé de trouver dans notre culture occidentale ce qui pourrait se rapprocher de la notion asiatique du Zen, propose une belle réflexion sur la notion de panorama.
« Panorama » en grec ça veut dire « voir tout »…contrairement au panoptique (bâtiment construit de façon à pouvoir, d’un seul coup d’œil, en embrasser tout l’intérieur..Ex : la prison), le panorama porte sur un monde sans intérieur, rien qu’une étendue…et c’est en cela que Barthes le positionne du côté du Neutre « en ce qu’il comporte un pouvoir de paix ».
Il associe d’ailleurs cette figure de panorama au souvenir personnel de la vision d’un tableau bien précis: un tableau panoramique dont il avait oublié le nom et l’auteur mais il se souvenait vaguement du sujet, une terrasse avec un banquet en contre-plongée, des fossés, des jardins, une femme se baignant les pieds…mais c’est surtout de la sensation provoquée par cette vision dont il se souvenait: « une extraordinaire sensation euphorisante de lévitation, un bonheur ascensionnel »..
Suzanne et les vieillards d’Altdorfer
En prenant comme base de réflexion un texte de Quincy (Confessions d’un mangeur d’opium, 1821) qui relate la vision d’un paysage entre Liverpool et la mer au travers d’une fenêtre ouverte par une nuit d’été…, Barthes nous fait alors remarquer que la vision d’un panorama peut agir comme une drogue, que cette vision a le pouvoir de fasciner, d’anesthésier la souffrance en supprimant les contradictions, en produisant ce qu’il appelle une « intelligence souveraine ». Intelligence souveraine en opposition à l’intelligence analytique qui ne verrait pas l’ensemble mais qui gratterait les détails, les difficultés…Cette « intelligence panoramique » serait celle qui résout, qui abolit la contradiction..celle qui permet de voir tous les détails mais d’un seul mouvement..
Je ne peux pas ne pas faire le lien ici avec le travail de l’historien de l’art Aby Warburg  qui a proposé une histoire de l’art basée justement, non pas sur une chronologie des œuvres, mais sur leur juxtaposition afin de faire apparaitre les résonnances de formes qui existent entre elles.
Explication mnémosyne Marie
planche Atlas Mnémosyne
Son travail a été connu en France notamment grâce aux écrits de G. Didi Huberman, sur lequel nous revenons fréquemment dans nos cours modestes. Il a organisé l’an dernier à Madrid une très belle exposition, Atlas, à partir de ses recherches sur Warburg.
faire passer catalogue Atlas
photo lady…
Il y a exposé des œuvres dites mineures, des esquisses, des notes, des photos d’artistes afin de nous offrir un parcours au travers duquel nous pouvions, en tant que visiteur créer notre propre histoire de l’art. Merveilleux travail de curateur… « curateur », terme qui a la même origine étymologique que « curiosité », « cura » en latin signifie « qui prend soin ». Cette exposition nous a amené, Marie et moi à ne plus faire d’examen en fin d’année mais à inviter nos élèves à conserver tout au long de l’année  toutes les traces de leurs cours (notes, tickets de musées, punitions, devoirs, recherches, interros, copions…et autres curiosités scolaires..) et à les consigner dans des cahiers reliés afin de pour voir réaliser en fin d’année un véritable « atlas de leurs apprentissages » à partir de ces traces (atlas composé de plusieurs planches thématiques qu’ils doivent confectionner en proposant  des correspondances, des juxtapositions, des classements originaux).
A partir de ces « objets » hétéroclites qu’ils conservent comme des collectionneurs, on leur propose donc de réaliser leur propre chef d’œuvre…
atlas élèves
Cette image du collectionneur était ma première piste d’investigation pour ce cours modeste, je m’en suis éloignée par la suite pour travailler celle de panorama…ces deux notions se rejoignent finalement, heureux hasard de la recherche ou pirouette..
Dans un très beau livre cité par Benjamin, encore, dans ses Ecrits français que nous avons finalement retrouvé dans une bibliothèque parisienne…Le regard de G. Salles, cet ancien conservateur du LOUVRE parle, entre autre, de la collection en décrivant un de ces amis collectionneurs, François Princetton. J’y ai retrouvé ce pouvoir créateur de la juxtaposition.
Lire extrait Salles p. 34-35 + projeter en // images œuvres de l’expo.
Le collectionneur est au coeur de la problématique des cabinets de curiosités, il est ce demi Dieu qui entend s’approprier le monde en miniature…Il est un véritable artiste qui dispute à Dieu le pouvoir de création. Il est un créateur de lieu. La collection, comme le cabinet de curiosité, les cahiers de nos élèves, ou encore une bibliothèque est un lieu de mémoire. Elle est par là même un rempart contre la mélancolie, car elle permet de nier le temps. Véritable « un interprète du destin », chaque fois que le collectionneur acquiert un objet (ici un livre, chez nous une trace d’apprentissage…mais ça peut-être un papillon ou un tatou empaillé), le collectionneur le fait revivre...comme par magie !
image Nabokov /chasse aux papillons
Le cabinet de curiosités, le panorama, l’atlas, mais aussi le cours modeste…autant de dispositifs qui peuvent apaiser notre rapport (anxiogène) au savoir, autant de moyens formels d’établir des liens entre les choses, de retrouver le même sous le divers, de créer des proximités entre des réalités les plus lointaines…bref de bricoler son savoir …comme par magie !


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