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samedi 28 janvier 2012

Cours modeste # 7 Wunderkammer : les communications (suite et fin)


CM : Cabinet de curiosités : Marie


Cabinet de Curiosités :

A travers ce parcours en images que j’ai développé suite à mes lectures sur les cabinets de curiosités, j’aimerais revenir sur la notion de spectateur actif déjà évoqué par Juliette.

Carte de pensée CC

Un cabinet de curiosité est une collection désordonnée de ce qui plaît, dérange, intrigue ou encore fascine son propriétaire ... C’est donc dans un espace intime et unique que le spectateur pénètre.
Cette collection est une tentative d’appréhender, de connaître le monde par l’agencement … et les corrélations établies entre art et science.

Devant une telle profusion d’objets, le spectateur sera d’abord impressionné, il aura difficile à trouver un fil conducteur et tentera d’embrasser du regard la totalité de la collection …

Face à l’inattendu, l’œil errant est trimbalé d’étonnement en étonnement provoquant chez le spectateur le désir de connaître, de trouver un itinéraire à parcourir afin de s’approprier, de créer son propre savoir … Provoqué, le regard est amené à s’interroger sur les fondements du réel, sur les relations qu’entretiennent art et nature. Chaque objet y joue le rôle de fiche dans ce grand index général qu’est le monde.

Comme dans l’Atlas d’Aby Warburg, l’œil réalisera, par analogie, par découpage, des associations jusqu’alors cachées qui offriront au spectateur un sentiment de compréhension. Cette connaissance développée par le spectateur n’est pas un discours continu et cohérent, il existe en effet une multitude de lectures possibles, mais une lecture créatrice de cet amas d’énigmes à déchiffrer. L’œil cadre et réalise son propre tableau.

                                                         Talbot Arbre
William Fox Talbot :

Il y a quelques mois, je découvre le livre Pencil of Nature de William Fox Talbot, qui est célébré comme l’inventeur de la photographie puisqu’il réalise dans les années 1835, le premier négatif de l’Histoire.

La photographie va permettre à Talbot de construire son propre musée imaginaire ou si l’on veut son propre cabinet de curiosités.

                                                   Diverses images Talbot

En effet, le travail de Talbot présente un large éventail d’éléments hétéroclites : éléments de botaniques, spécimens scientifiques, feuilles, dentelle, reproductions de gravures, études architecturales, écritures, sculptures, objets divers etc …

La photographie est le moyen par excellence d’arrêter le temps, de capturer les choses les plus éphémères. A l’époque, cette découverte est considérée comme une expérience relevant du merveilleux, d’une certaine magie. 
Image dentelle

Talbot souligne à plusieurs reprises que la photographie est fidèle à son référent, tout en le trahissant :
par exemple cette image de feuille qui apparaît blanche et qui est pourtant verte, la photographie reproduit donc sa structure mais pas sa véritable apparence.

Il souligne également que le photographe ne voit pas tout ce qu’il photographie, l’image permet donc de révéler des choses jusqu’alors secrètes. Talbot envoyait ses travaux à de nombreux botanistes, scientifiques afin qu’ils puissent développer leur connaissance… à partir d’images. 
Image arbre

Le photographe cadre afin de créer son propre discours. Les albums de Talbot sont construits selon un principe de montage des éléments prélevés dans le désordre du monde. Ces juxtapositions d’images pouvant être lues d’une infinité de manière différentes, produisent des discours multiples .

The Pencil of nature est en quelque sorte le premier cabinet de curiosités transportable.

Ce travail d’empreinte, de ces images révélées par l’action de la lumière – Talbot appelait d’ailleurs ses premières photo : images soleil –me rappelaient le travail de l’artiste italien Parmiggiani, que j’ai pu mettre en lien avec le travail de Manuel Geerinck et sa Série Disparition présentée ici au Botanique.

Parmiggiani :
                                                      // avec Luce luce luce

Les premières œuvres intitulées Delocazioni ont été réalisées lors d’une exposition collective organisée à Modène.
Image Délocazione, 1970

L’artiste avait choisi d’investir une pièce du musée utilisée habituellement comme réserve. Celle-ci était encombrée de toute une série d’objets appuyées contre les murs : des œuvres d’art, un bout d’échelle, une poutre etc … lorsqu’il déplace ces objets pour faire de l’espace, il est surpris par la vision des traces laissées en négatif par la poussière. C’est dès lors, ces empreintes, que l’artiste décidera d’oeuvrer[1].

Parmiggiani travaille à partir du feu, le pigment est donc chez lui suie, poussière.

                                          Divers images Parmiggiani

Les œuvres de Parmiggiani sont des natures mortes : une collection d’objets dont il ne reste plus que la mémoire, une collection d’images. Les collections que constitue l’artiste sont autant d’objets d’origines diverses : moulages antiques mêlés à des tessons de bouteilles, collections de papillons avec collections d’horloges, et pour finir, cette collection par excellence qu’est la bibliothèque[2].

La collection est, Juliette l’a dit, un rempart contre la mélancolie. Les œuvres de Parmiggiani, évoquant la présence par la disparition des choses elles-mêmes, sont, également, intimement liées à cette notion de mélancolie. Les œuvres de Parmiggiani ne se laisse pas regarder sans provoquer une certaine douleur : une douleur liée à la perte.

« Une couleur, une lumière, un regard, ce que nous voyons et ressentons en passant se consume dans nos pupilles comme une tragédie silencieuse, interminable, douloureuse, aussi inacceptable que la pensée d’un soleil qui meurt ou d’une quelconque mort en nous »[3].  

Une tragédie silencieuse donc … Cette notion de silence est souvent évoquée par Parmiggiani pour parler de son travail. Il faudrait faire le silence devant les  œuvres, non qu’elles n’aient rien à nous dire, mais faire le silence serait selon Parmiggiani « faire de l’image l’équivalent visuel d’une question qui veut demeurer telle  »[4].

Avant d’atteindre une œuvre dans sa signification, ne faut-il pas faire taire notre raison, nos savoirs, et laisser le silence s’installer en nous … et ainsi permettre aux œuvres de nous parler par leur seule présence.

Revenons à la notion de spectateur :
Carte de pensée CC

Toute œuvre est donc destinée à se laisser façonner par les regards qu’elle rencontre.

Tout lecteur est tenu à un effort d’imagination, d’association, de sélection – il se fabrique une connaissance qui passe par un travail de montage …

Son rôle est de pressentir non de résoudre … l’œil pour voir, pour communiquer avec l’œuvre, doit à son tour se comporter en visionnaire. Grâce à notre œil, nous complétons la vision de l’artiste.

Arcimboldo
// Photos - Arcimboldo

Un autre lien que j’ai fait en visitant cette exposition : les photographies de Roberto Kusterle et les peintures d’Arcimboldo. J’aimerais m’attarder ici quelques instants sur l’œuvre de ce peintre.

L’automne Arcimboldo

Devant une peinture d’Arcimboldo, il existe deux niveaux de perception possibles… Soit l’œil traite l’image comme un tout et se trouve alors face à une figure, soit changeant son niveau de perception, l’œil traite l’image dans ses détails et doit décrypter cette profusion de formes.

L’éloignement, le rapprochement sont tous deux porteurs de sens … mais ces deux niveaux de perceptions sont nécessaires pour faire surgir un troisième sens. Le spectateur est, en effet, conduit à recomposer, à la manière du jeu des sept familles, la famille de l’hiver, du printemps, de l’été, de l’automne … ici carottes, champignons, grappes de raisins etc constituent les thèmes de l’automne.

Paul Klee disait que « l’œuvre d’art naît du mouvement fixé et se perçoit dans le mouvement »…
Arcimboldo produit une peinture éminemment mobile car non seulement, comme face à toute œuvre d’art, les yeux sont en mouvement mais le lecteur se trouve ici devant l’obligation de se déplacer … Par ce déplacement, le spectateur fait donc parti du statut même de l’œuvre.  
Arcimboldo : le cuisinier

Les effets que ces peintures provoquent en nous sont souvent répulsifs … on éprouve d’abord une sorte de malaise face à ce grouillement de formes, à cet entremêlement, tout comme lorsque le spectateur devait pénétrer dans un cabinet de curiosités.

Arcimboldo est contemporain des cabinets de curiosités, et nous le savons le  monstre est alors considéré comme une merveille.  

La merveille, le monstre est ce qui transgresse la séparation des règnes, associant l’animal et le végétal, l’humain et l’animal …

                                               Arcimboldo :

Roland Barthes dit à ce propos que « c’est la métamorphose, qui fait basculer d’un ordre dans un autre[5] »  et lui assigne un autre terme celui de transmigration
Sous nos yeux, les éléments en présence dans les figures d’Arcimboldo sont amenés à transmigrer : raisin, fleurs deviennent chevelures, le citron pendentif, la pomme de terre nez pour former un tout : une figure humaine.

Selon Roland Barthes « Le principe des « monstres » arcimboldesque est en somme que La Nature ne s’arrête jamais ».  Or, dit-il encore, l’exercice d’une telle imagination ne relève pas seulement de « l’art », mais aussi du savoir : surprendre des métamorphoses est un acte de connaissance …[6] »

Surprendre des métamorphoses permet donc d’élargir notre savoir. Le travail d’Arcimboldo me permet de revenir au livre de Georges Salle déjà évoqué par Juliette … Il débute son livre Le regard en ces termes :
Ascension de Rubens

« Devant une petite esquisse de Rubens qui représente une Ascension, toile glauque, nacrée, humectée de rayons, échancrée en coquille, j’entendis quelqu’un murmurer : « on dirait une belle huître »…

Georges Salle poursuit « J’ai souvent pensé que pour mieux comprendre le rôle primordial et parfois suffisant de la sensation dans notre plaisir esthétique il n’était pas inutile de nous référer aux données d’un art, le moins haut placé dans la hiérarchie du goût, en revanche le plus souvent apprécié pour lui-même : l’art culinaire[7].

À l’instar du poète Rainer Maria Rilke, qui a esquissé une méthode du regard qui mettrait de côté la culture afin de laisser parler seulement la sensation, Georges Salle défend une approche des œuvres qui laisserait de côté le savoir, l’histoire de l’art … et ceci afin que le spectateur puisse développer son jugement de goût immédiat, par lequel il découvre qu’il est affecté par une œuvre.  L’art est matière nous y adhérons par les sens.

Les raboteurs de Caillebotte

Face à cette œuvre, j’aimerais que vous vous prêtiez à un exercice. Je vais vous demander de la déguster du regard … de la métamorphoser en mets, de décrire la saveur qu’il a pour vous, ses arômes.























[1] Georges Didi-Huberman, Génie du Non-Lieu, Air, Poussière, Empreinte, Hantise, Les éditions de Minuit, 2001, p. 18.
[2] Ibid, p.87
[3] Claudio Parmiggiani, Stella Sangue Spirito cité in G. Didi-Huberman, Génie du non-lieu, op cit, p. 102.
[4] Ibid, p. 46
[5] Roland Barthes, Arcimboldo ou Rhétorique et Magicien in L’obvie et l’obtus Essais critiques III, Ed du Seuil, 1982, p. 138.
[6] Ibid
[7] Georges Salle, Le Regard , p.11.

Cours modeste # 7 Wunderkammer : les communications (suite)

Cours modeste : Lis tes ratures   (Communication de Sébastien)


    Pourquoi des formes, des couleurs et leurs rencontres agencées dans un espace, leurs multiples combinaisons possibles produisent en moi des images, des idées qui me renvoient à ma pratique d'enseignant?
    Pourquoi les cabinets de curiosité en général et celui-ci en particulier me parlent et me questionnent sur mon métier?

    Parce que les cabinets de curiosité mettent en scène notre relation au savoir tout comme l'enseignant joue un spectacle de la connaissance avec et devant ses élèves.

    J'aimerais montrer que le cabinet de curiosité est un lieu où se croise et se mélange trois problématiques au cœur de cette question du savoir : 1° le savoir comme transmission, 2° le savoir comme transgression et 3° le savoir comme transformation.


le savoir comme transmission et captation de la réalité :

    Historiquement, l'une des fonctions des premiers cabinets de curiosité étaient de former les héritiers des familles riches aristocratiques en leur donnant à voir dans un espace commun l'incroyable diversité de la vie et la profondeur du temps.

   En effet, le cabinet semble dresser un inventaire du monde en accumulant les objets sous la forme d'une encyclopédie visuelle. Se côtoient pèle-mêle antiquités, des instruments scientifiques, des tableaux, des monstres en bocal, des animaux empaillés, des coquillages, etc...etc... On a l'impression d'une liste un peu folle, sans réelle unité.

   Le cabinet semble être un lieu d'apprentissage et de transmission où l'on donne à voir ce qui est remarquable avec toute l'imprécision que comporte cette notion.
   Lieu pédagogique mais aussi laboratoire, derrière l'imprécision se cache une volonté de mise en ordre de la diversité du monde.

   Ce n'est pas un hasard si le cabinet est rempli, d'armoires, de tiroirs, de cases. Le cabinet inventorie mais dans le même temps range et classe. Laboratoire parce que le collectionneur organise sa relation aux objets, tente d'agencer une unité sous l'hétéroclite, met en scène, essaie d'associer les objets en leur donnant une place.  Il tente de leur donner une intelligibilité.

 Or ce besoin de transmission qui passe par une mise en ordre implique dans le même temps la captation des objets et leur détournement.
  Le collectionneur s'approprie les objets, il est dans une logique de propriétaire, de mainmise et d'arraisonnement.
  L'objet exposé est un objet arraché de son contexte, déraciné, dé-territorialisé. La mise en ordre est aussi violence, elle est également une mise au pas.

  De plus, l'une des premières choses qui m'a frappé lors de ma visite de l'exposition, c'est l'omniprésence de la mort : les têtes de mort, les insectes naturalisés, les animaux empaillés, les ongles en bocal, les squelettes et l'humour de la biche morte mais soignée, pansée.  Par certains côtés, le cabinet fait penser à un cimetière.

  Comme si le savoir épinglait le vivant, empaillait la vie, la mettait en bocal? Ce risque des cabinets à n'exposer qu'un savoir mort est un risque qui me parle parce que c'est le risque que je courre chaque jour à n'exposer à mes élèves qu'un savoir momifié, ossifié, figé.
  Pour le dire autrement tout mon problème réside en ceci : comment transmettre à mes élèves, comment les amener à s'approprier un savoir sans tuer ce qu'ils étudient? 

  Or paradoxalement, le cabinet de curiosité apporte lui-même des réponses. Le cabinet n'est pas qu'une loge mortuaire, il est dans le même temps un dispositif transgressif. Le cabinet initie du mouvement, met en relation, confronte, fait s'entrechoquer des objets qui normalement ne coexistent pas les uns avec les autres.

  2° C'est ma deuxième partie : le savoir comme transgression ou comment déplacer mes élèves, comment faire de la transmission, une mise en mouvement?

  Là encore, c'est l'exposition qui m'a mis sur la voie. Omniprésence de la mort, mais aussi omniprésence des monstres, le tricératops, mais aussi les hybrides, mi hommes mi animaux, les visages à base d'herbe, les femmes libellules, la vierge avec le serpent qui lui sort du ventre, les corps déformés d'alexandra Leyre Mein, les animaux verts ou bleus fluos  pour ne pas tous les citer.

  Le monstre provoque l'ambivalence chez le spectateur : il inquiète et fascine en même temps.
 Georges Canguilhen dans son livre La connaissance du vivant[1] dit que le monstre inquiète parce qu'il fait naître le soupçon que l'échec de la vie pourrait surgir de nous. En effet, le vivant se caractérise par sa capacité de stabilité et de reproduction du même. D'une biche sortira un faon, d'une laie un marcassin. Or le monstre nous rappelle que cette capacité est fragile et peut se dérégler.
  Il fascine parce qu'il nous confronte à l'extraordinaire plasticité de la vie, sa capacité à générer de la nouveauté, son potentiel d'altérité.

  Canguilhem pour parler de cette ambivalence dit que le monstre peut se comprendre à travers le couple de deux notions opposées et complémentaires : le monstrueux et la monstruosité[2].
   Le monstrueux émerveille, il est matrice. Il évoque la transgression comme force créatrice, puissance génésique, nouveauté.
  Inversement, la monstruosité inquiète. La transgression n'est plus alors une force positive, mais infraction à la règle, perturbation dangereuse par rapport à une norme, désordre destructeur, voir fascination au mal : « La monstruosité est moins une erreur de la nature qu'une licence des vivants »[3]

  Le cabinet semble être en équilibre entre ces deux images contradictoires du monstre.
  D'un côté,  le cabinet usine des formes nouvelles, propose des chemins inattendus de connaissance à travers l'entrelacement des objets qu'il met en scène. Puissance du monstrueux
  De l'autre côté, le cabinet semble vouloir domestiquer la sauvage diversité de la nature en la mettant en bocal, semble vouloir l'apprivoiser en l'empaillant. Comme si il voulait maîtriser ses déviances, la corriger en rangeant le désordre de la nature dans des cases. Peur de la monstruosité.

  J'en envie de dire que je suis moi aussi partagé dans mon travail entre la tentation du bocal et la fascination pour le désordre. Le monstre est une métaphore scolaire.
 Un exemple concret :
  L'école tout comme le cabinet de curiosité a pour fonction de trier, de classer dans des tiroirs, d'épingler dans des cases.
  Je travaille dans une école artistique et professionnelle. Trop souvent mes élèves ont été confrontés à l'échec scolaire. Si je voulais vous provoquer, être transgressif, je dirais que ce sont des monstres scolaires parce qu'ils s'écartent de la norme, et qu'il faut essayer de corriger cette déviance. Mais d'un autre côté, cette inadaptation est aussi paradoxalement un atout, une richesse.
 C'est là que réside mon ambivalence puisque c'est quelque chose contre lequel je me bats et que je ne veux pourtant pas voir disparaître. Ça me fait penser à une anecdote récente. Un jour je me demandais pourquoi un élève me rendait systématiquement des copies raturées, illisibles, monstrueuses... Je lui pose la question et lui me répond : « parce que ça fait bourgeois ». Ce que je voyais comme déficience et, que je continue à voir comme telle, n'était pas seulement cela, mais dans le même temps un choix esthétique et politique.

 Le cabinet comme mise en scène du monstre, image de la transgression, génère de la perplexité et de la désorientation. Il invite à créer des analogies, à dresser des ponts inattendus. Le cabinet tisse et produit du lien, provoque des associations d'idées, des rapprochements surprenants. Le cabinet n'est donc pas seulement cimetière mais aussi quelque chose à habiter, une maison à aménager indéfiniment.

  En  conclusion, j'aimerais montrer comment le cabinet de curiosité est transmission, transgression mais aussi encore quelque chose de plus, le cabinet pose la question du savoir comme transformation.

  3° Pour comprendre cette question de la transformation, je vais utiliser un concept d'Edgar Morin tiré de son livre La méthode[4]. C'est ce qu'il appelle la machine. J'aimerais vous montrer que le cabinet de curiosité en tant que dispositif de savoir fonctionne comme une machine.

  Qu'est-ce qu 'une machine[5] au sens de Morin?

   Une machine n'est pas un appareil mécanique composé de rouages, de pistons ou de  commutateurs. C'est beaucoup plus qu'un simple mécanisme artificiel qui se contente de fabriquer à la chaine toujours les mêmes objets.
   Mais et je cite « tout être physique vivant ou non dont l'activité comporte travail, transformation, production »[6].
   La machine pour Morin est une matrice qui produit quelque chose non pas de standardisée mais de nouveau, de singulier, qui n'existait pas auparavant. Littéralement la machine est productrice de surprise.
   La machine est de plus une « organisation ». C'est à dire qu'elle est constituée d'éléments , de beaucoup de parties qui interagissent les unes avec les autres et qui produisent des propriétés émergentes. De même le cabinet est constitué d'objets qui interagissent les uns avec les autres et de cette interaction naît des propriétés émergentes. On peut voir aussi une classe de la même façon où l'enseignant  interagit avec ses élèves.
  Ces interactions sont complexes et non réductibles à une causalité simple. Elles sont spontanées et imprévisibles, c'est à dire que la machine n'interagira jamais de la même manière.
   Dernière étape, qu'est-ce qu'une propriété émergente? C'est quelque chose qui est capable de création, d'autonomie et de reproduction au sens biologique du terme. En ce sens, une machine se rapproche de l'image de la matrice.
  Alors, on peut voir le cabinet de curiosité comme une machine qui usine des formes nouvelles et produit du soi, génère de l'identité.
  C'est à dire que le cabinet, par le jeu de l'interaction de ses parties, l'entrechoquement des œuvres et leurs multiples combinaisons possibles nous transforme en retour, agit sur notre identité en lui donnant à voir des liens inédits. Tout comme dans ma pratique d'enseignant, le jeu du savoir avec mes élèves,  me déplace et nous transforme.

  Transmission, transgression, transformation, peut-être  que l'un des intérêts du cabinet de curiosité et de faire fonctionner ensemble ces trois modes du savoir tout en maintenant leurs contradictions.

   « Oui, seul l'artiste, alors, sait s'y prendre.
     Il cesse de regarder, tire au but.
     L'objet certes accuse le coup.
     La vérité se renvole indemne
     La métamorphose a eu lieu [7]».
  


[1]    G.Canguilhem, Vrin 1965, 1992 pour l'édition de poche.

[2]    Ibid, « La monstruosité et le monstrueux », page 171 et suivante.
[3]    Ibid, page 174.
[4]    Edgar Morin, Opus Seuil, 2008.
[5]    Ibid, page 241 et suivantes.
[6]    Ibid, page 1475.
[7]    Fancis Ponge, Lyres, 1967, Poésie/Gallimard.

Cours modeste # 7 Wunderkammer : les communications

Cours modeste # 7 Cabinet de curiosités
Communication de Juliette
Lors de nos recherches pour le dernier cours modeste de l’année 2011 qui avait pour objet le texte du philosophe Jacques Rancière, Poétique du savoir, nous avons réalisé que la démarche de nos cours modestes relevait en fait du travail de tisserand. Nous ne parlons jamais d’une voix, nous sommes trois et nous ne parlons au nom de personne (nous n’hésitons pas à citer de grands noms dont nous ne maîtrisons pas spécialement toute la pensée), nous entremêlons les bribes de nos lectures libérées de toute vérité historique ou doctrinale aux fils de nos fragiles intuitions. Nous n’hésitons pas à nous les approprier, quitte à les détourner au passage…
Je voudrais donc tisser au travers de textes littéraires ou plus philosophiques une trajectoire à l’image de ces figures créées pour apprivoiser ce qui est fugace et incertain qu’on appelle « image de pensée ». Marie poursuivra mon cheminement au travers d’images. Sébastien effectuera le tracé de cette trajectoire au tableau.
Un des premiers livres que j’ai trouvé sur le sujet est un petit recueil de nouvelles d’Alfred Kubin: Le cabinet de curiosités.
Alfred Kubin est un dessinateur autrichien du début du XX siècle mais aussi un écrivain. Il était surnommé le « Goya autrichien » car on rapprochait ses gravures, qui faisaient office de satyre de la vieille Autriche des Caprices de Goya, satyre de l’Espagne bourbonienne.
Goya
Le cabinet de curiosités de Kubin est un recueil de 8 textes courts qu’il a écrits en regard de dessins qu’il avait repêchés dans ses cartons à la demande de son éditeur :
« C’est pourquoi, écrit-il, ces quelques dessins n’illustrent pas des histoires comme je l’ai souvent fait du reste….je n’ai écrit les textes qui ne correspondent aux dessins qu’après coup. On pourrait tout aussi bien interpréter ces dessins de cent autres façons et celui auquel mes histoires ne plaisent pas peut s’en inventer d’autres qui lui conviennent mieux. »
page livre kubin
Cette démarche est bien celle du cabinet de curiosités. Une offre de « curiosités » (ici des dessins et des textes) et une place active laissée au spectateur.
Dans le petit texte de présentation du travail de Kubin en fin de volume, j’apprends que ce type de littérature porte un nom : la littérature panoramique :
« Ce qu’on appelait au siècle dernier « cabinets de curiosités » ou « panoramas » étaient des dispositifs optiques constitués d’un vaste tableau peint en trompe l’œil et déroulés sur les murs d’une rotonde éclairée par le haut. Le spectateur des panoramas, placés au centre, avait ainsi l’impression de découvrir d’une hauteur un véritable horizon. On s’efforçait d’y représenter le changement des paysages selon les heures du jour, le lever de la lune, bref d’en faire de parfaites imitations de la nature. Si parfaites d’ailleurs que le peintre David conseillait à ses élèves de « dessiner dans les panoramas d’après nature ».
panorama Robert Barker
C’est Walter Benjamin qui, dans Paris capitale du XX siècle, parle de cette littérature panorama qui se serait développée en même temps que ces dispositifs optiques : « une littérature faite de petites esquissent, dont le revêtement anecdotique correspond aux figures plastiques situées au premier plan des panoramas, tandis que la richesse de leur information joue pour ainsi dire le rôle de la vaste perspective qui se déploie à l’arrière plan. »
photo Jesus de la dope
C’est ce qu’on peut appeler une poétique de la juxtaposition à laquelle le musée peut prêter sa forme mais aussi le cabinet de curiosités.
Avant de poursuivre sur cette idée de poétique de la juxtaposition, je voudrais revenir un instant sur cette notion de panorama en passant  par une autre lecture.
Roland Barthes dans son cours au Collège de France sur le Neutre lors duquel il s’est efforcé de trouver dans notre culture occidentale ce qui pourrait se rapprocher de la notion asiatique du Zen, propose une belle réflexion sur la notion de panorama.
« Panorama » en grec ça veut dire « voir tout »…contrairement au panoptique (bâtiment construit de façon à pouvoir, d’un seul coup d’œil, en embrasser tout l’intérieur..Ex : la prison), le panorama porte sur un monde sans intérieur, rien qu’une étendue…et c’est en cela que Barthes le positionne du côté du Neutre « en ce qu’il comporte un pouvoir de paix ».
Il associe d’ailleurs cette figure de panorama au souvenir personnel de la vision d’un tableau bien précis: un tableau panoramique dont il avait oublié le nom et l’auteur mais il se souvenait vaguement du sujet, une terrasse avec un banquet en contre-plongée, des fossés, des jardins, une femme se baignant les pieds…mais c’est surtout de la sensation provoquée par cette vision dont il se souvenait: « une extraordinaire sensation euphorisante de lévitation, un bonheur ascensionnel »..
Suzanne et les vieillards d’Altdorfer
En prenant comme base de réflexion un texte de Quincy (Confessions d’un mangeur d’opium, 1821) qui relate la vision d’un paysage entre Liverpool et la mer au travers d’une fenêtre ouverte par une nuit d’été…, Barthes nous fait alors remarquer que la vision d’un panorama peut agir comme une drogue, que cette vision a le pouvoir de fasciner, d’anesthésier la souffrance en supprimant les contradictions, en produisant ce qu’il appelle une « intelligence souveraine ». Intelligence souveraine en opposition à l’intelligence analytique qui ne verrait pas l’ensemble mais qui gratterait les détails, les difficultés…Cette « intelligence panoramique » serait celle qui résout, qui abolit la contradiction..celle qui permet de voir tous les détails mais d’un seul mouvement..
Je ne peux pas ne pas faire le lien ici avec le travail de l’historien de l’art Aby Warburg  qui a proposé une histoire de l’art basée justement, non pas sur une chronologie des œuvres, mais sur leur juxtaposition afin de faire apparaitre les résonnances de formes qui existent entre elles.
Explication mnémosyne Marie
planche Atlas Mnémosyne
Son travail a été connu en France notamment grâce aux écrits de G. Didi Huberman, sur lequel nous revenons fréquemment dans nos cours modestes. Il a organisé l’an dernier à Madrid une très belle exposition, Atlas, à partir de ses recherches sur Warburg.
faire passer catalogue Atlas
photo lady…
Il y a exposé des œuvres dites mineures, des esquisses, des notes, des photos d’artistes afin de nous offrir un parcours au travers duquel nous pouvions, en tant que visiteur créer notre propre histoire de l’art. Merveilleux travail de curateur… « curateur », terme qui a la même origine étymologique que « curiosité », « cura » en latin signifie « qui prend soin ». Cette exposition nous a amené, Marie et moi à ne plus faire d’examen en fin d’année mais à inviter nos élèves à conserver tout au long de l’année  toutes les traces de leurs cours (notes, tickets de musées, punitions, devoirs, recherches, interros, copions…et autres curiosités scolaires..) et à les consigner dans des cahiers reliés afin de pour voir réaliser en fin d’année un véritable « atlas de leurs apprentissages » à partir de ces traces (atlas composé de plusieurs planches thématiques qu’ils doivent confectionner en proposant  des correspondances, des juxtapositions, des classements originaux).
A partir de ces « objets » hétéroclites qu’ils conservent comme des collectionneurs, on leur propose donc de réaliser leur propre chef d’œuvre…
atlas élèves
Cette image du collectionneur était ma première piste d’investigation pour ce cours modeste, je m’en suis éloignée par la suite pour travailler celle de panorama…ces deux notions se rejoignent finalement, heureux hasard de la recherche ou pirouette..
Dans un très beau livre cité par Benjamin, encore, dans ses Ecrits français que nous avons finalement retrouvé dans une bibliothèque parisienne…Le regard de G. Salles, cet ancien conservateur du LOUVRE parle, entre autre, de la collection en décrivant un de ces amis collectionneurs, François Princetton. J’y ai retrouvé ce pouvoir créateur de la juxtaposition.
Lire extrait Salles p. 34-35 + projeter en // images œuvres de l’expo.
Le collectionneur est au coeur de la problématique des cabinets de curiosités, il est ce demi Dieu qui entend s’approprier le monde en miniature…Il est un véritable artiste qui dispute à Dieu le pouvoir de création. Il est un créateur de lieu. La collection, comme le cabinet de curiosité, les cahiers de nos élèves, ou encore une bibliothèque est un lieu de mémoire. Elle est par là même un rempart contre la mélancolie, car elle permet de nier le temps. Véritable « un interprète du destin », chaque fois que le collectionneur acquiert un objet (ici un livre, chez nous une trace d’apprentissage…mais ça peut-être un papillon ou un tatou empaillé), le collectionneur le fait revivre...comme par magie !
image Nabokov /chasse aux papillons
Le cabinet de curiosités, le panorama, l’atlas, mais aussi le cours modeste…autant de dispositifs qui peuvent apaiser notre rapport (anxiogène) au savoir, autant de moyens formels d’établir des liens entre les choses, de retrouver le même sous le divers, de créer des proximités entre des réalités les plus lointaines…bref de bricoler son savoir …comme par magie !